Le «j’aime» de Facebook, un projet maudit devenu coup de génie
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Le célèbre pouce en l'air est devenu un gadget incontournable. Les internautes cliquent dessus de manière compulsive. Retour sur l'histoire d'un bouton loin d'être anodin

Facebook, Twitter ou Netflix ont développé des techniques perfectionnées pour rendre l’utilisateur captif, le récompenser à intervalles réguliers et susciter un manque lorsqu’on n’utilise pas leurs services. Nous explorons cette nouvelle dépendance dans une série d'articles.
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Facebook est la nouvelle pieuvre du Web, le grand média planétaire de ce début de siècle. Pour conquérir le monde virtuel, le réseau social a imaginé le désormais incontournable bouton «j’aime». Agrémenté d’un pouce en l’air, il se glisse sous toutes les publications des utilisateurs. Impossible d’y échapper.
D’apparence anodine, ce gadget a pourtant suscité de grandes discussions entre les cadres de Facebook. C’était en 2007. Trois ans après le lancement de The Facebook, l’équipe planche sur un bouton destiné à exprimer son enthousiasme pour un contenu. Mais comment représenter ce petit geste positif? Les responsables hésitent entre une étoile, un signe «plus» et un pouce en l’air. La dernière option sera préférée, avec ce nom: awesome button. Quelques mois plus tard, un employé propose le like, sans convaincre ses collègues. Excepté les responsables de la publicité qui y voient une opportunité pour améliorer la visibilité des annonces publiées sur le site.
Mais le grand patron, Mark Zuckerberg, n’est pas convaincu. Il craint que les utilisateurs ne se contentent d’aimer des contenus sans les partager avec leurs amis ou publier de nouveaux messages. En interne, on parle alors d’un «projet maudit». En février 2009, le bouton apparaît finalement sur le réseau social. «Lorsque vos amis partagent quelque chose de bien, faites-leur savoir», peut-on lire dans une publication qui annonce l’arrivée de cette nouvelle fonctionnalité.
Valorisation de soi
Le conseil sera suivi à la lettre par les utilisateurs, et pour une raison simple: ce bouton «j’aime» est l’expression immédiate de l’approbation. «L’être humain est un être social. Les utilisateurs sont portés par un désir de surprise et d’advenance. Ils veulent savoir si des personnes ont aimé leur nouvelle photo ou s’ils peuvent ajouter un nouvel ami. Cela crée une architecture de la valorisation de soi qui amène à un usage répété», estime le sociologue des usages Nicolas Nova.
Le bouton est utilisé de manière compulsive par les membres du réseau social. «Le coût de cette action est si faible que les utilisateurs passent leur journée à apprécier des contenus. C’est une participation minimale. Pour créer des habitudes, il faut réduire la difficulté», confirme le professeur à la HEAD. Un coup de génie qui a inspiré le concurrent Twitter. Sous les messages, l’étoile a été remplacée par un cœur rouge. «Nous savons que parfois les étoiles pouvaient prêter à confusion, en particulier pour les nouveaux utilisateurs. Vous pouvez aimer beaucoup de choses, mais toutes ne peuvent pas être vos favorites», expliquait le réseau social dans son annonce. Traduction: les interactions vont augmenter grâce à ce simple changement d’icône.
Une valeur quasi marchande
Ce petit geste permet de montrer qu’on apprécie un propos ou une photo. «On voit apparaître de nouvelles formes de sociabilité dans lesquelles le chiffre a une importance croissante chez une partie de la population, mais cela suscite également une réaction de rejet chez d’autres personnes», nuance Nicolas Nova.
Aimer une publication a une valeur quasi marchande. Cela répond en effet au modèle économique de Facebook basé sur la publicité. Plus une publication est «aimée», plus elle est visible. Les annonceurs rivalisent donc d’imagination pour atteindre leur cible. Conséquence: le moindre changement d’apparence de ce bouton stratégique est âprement discuté en interne.
«Ce petit bouton innocent est l’un des éléments de design les plus consultés jamais créés. Ça fait beaucoup de pression pour un petit bouton, et pour le designer», racontait en 2014 Margaret Gould Stewart, une responsable de l’expérience utilisateur chez Facebook, lors d’une conférence TEDx. Un an après cette prise de parole, le réseau social propose une version augmentée du «j’aime». Avec ce bouton, l’utilisateur peut désormais rigoler, adorer, exprimer de la colère ou de la tristesse. L’idée est de montrer son empathie. Des données précieuses, et qualitatives, qui font le bonheur des marques.
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