Technologie
Le fondateur d’Amazon en quittera la direction opérationnelle à l’automne. Il laissera derrière lui un géant de l’e-commerce, mais surtout technologique. Sa fortune, de 197 milliards de dollars, lui permettra de mener des projets dans l’espace

C’est une photo qu’adorent partager entre eux les créateurs de start-up pour se donner du courage. Jeff Bezos, assis seul dans un bureau éclairé par une lumière blafarde. Son ordinateur est posé sur une planche de bois qui lui sert de table. A sa droite, l’adresse Amazon.com a été taguée en bleu, mais la pancarte penche vers la gauche. L’air appliqué, Jeff Bezos – qui a encore des cheveux – tape sur son clavier. L’homme vient de lancer son site de vente en ligne de livres en 1994 dans la banlieue de Seattle.
Début 2021, Jeff Bezos est aujourd’hui, selon les jours et les cours de bourse, l’homme le plus riche du monde – ou alors le deuxième, à côté d’Elon Musk. A la tête d’environ 197 milliards de dollars, le fondateur d’Amazon a décidé de quitter la direction opérationnelle de l’empire qui l’a rendu si riche. Lors du troisième trimestre de cette année, il laissera sa place à Andy Jassy, actuel directeur de la division cloud d’Amazon, AWS, la filiale la plus profitable du groupe.
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Différent des créateurs de Google
Annoncé dans la nuit de mardi à mercredi à l’occasion de la publication des résultats annuels du groupe, ce départ n’en est pas totalement un. Certes, Jeff Bezos quittera la direction opérationnelle, mais il présidera le conseil d’administration et continuera à influer sur les orientations de son empire. L’homme, qui détient toujours environ 12% du capital de la société, en demeure l’actionnaire le plus important. Amazon vaut 1690 milliards de dollars en bourse. En parallèle, la fortune de Jeff Bezos, âgé de 57 ans, lui permettra de s’investir davantage dans des projets marquants.
Il semble exclu que Jeff Bezos imite Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google qui ont disparu du champ public après leur départ de la direction opérationnelle de leur groupe, fin 2019. Ou Bill Gates, cofondateur de Microsoft, qui se consacre exclusivement à son activité philanthropique. Non, Jeff Bezos a une double ambition. Dans la philanthropie, lui aussi, avec le Day One Fund et le Earth Fund qu’il a créés. Dans l’espace, surtout, avec sa société aérospatiale Blue Origin. Comme un certain… Elon Musk, Jeff Bezos est un passionné de l’espace. Et sans bénéficier de la couverture médiatique de SpaceX, la société d’Elon Musk, Blue Origin progresse.
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La conquête de l’espace
Il y a deux semaines, Blue Origin affirmait ainsi être «très proche» de pouvoir envoyer des humains dans l’espace après avoir réussi à y lancer, pour la quatorzième fois, une fusée. C’est le grand rêve de Jeff Bezos: étendre à l’espace les frontières de la Terre, en y envoyant régulièrement des humains pour du tourisme. Cela pourrait débuter cet été. Les capsules de Blue Origin sont prévues pour y envoyer six touristes, à une altitude de 107 kilomètres.
Hasard du calendrier, SpaceX échouait dans la nuit de mardi à mercredi à faire atterrir l’une de ses fusées au Texas, provoquant son crash. Dans cette course à l’espace, Elon Musk, qui a commencé ses activités dans ce secteur deux ans après Jeff Bezos, a de plus grandes ambitions, visant à terme des vols vers Mars. De son côté, un autre milliardaire, Richard Branson, annonçait lundi son intention d’effectuer un nouveau vol test en février – avec la volonté, à terme, d’envoyer lui aussi des touristes dans l’espace.
C’est donc l’espace que vise désormais Jeff Bezos après avoir conquis la Terre. Avec patience, l’homme a bâti un empire qui n’aurait jamais pu grandir aussi vite sans le cash apporté par AWS, la division cloud d’Amazon, qui lui a en plus apporté les capacités de calcul et de stockage pour ses services de streaming musical et vidéo. Aujourd’hui, Amazon est l’un des plus importants employeurs de la planète, avec 800 000 collaborateurs aux Etats-Unis et 1,3 million sur la planète. En 2020, le groupe a généré plus de 386 milliards de dollars de chiffre d’affaires, dont il a tiré un bénéfice net de 21,3 milliards, soit près du double de 2019.
De nouveaux marchés (sur Terre)
Actif dans l’e-commerce – pour ses propres biens et servant aussi de plateformes pour des millions des vendeurs –, la livraison de plats, la vente de service cloud, les assistants numériques, Amazon n’a pas fini, sous la férule de Jeff Bezos, d’étendre son territoire. Le groupe affiche des ambitions élevées dans la pharma. Mais pas seulement. Amazon adopte une approche expérimentale pour une grande partie de ses activités.
«Nous avons vu la société se concentrer davantage sur des domaines comme les jeux vidéo ou des pays émergents, comme l’Inde, lorsque des opportunités se sont présentées. Le plus important de ces nouveaux secteurs a été la publicité. Il s’agit de la quasi-totalité du segment «autres» et son chiffre d’affaires annuel s’élève à 20 milliards de dollars, soit un taux de croissance annuel de plus de 40%», relève ainsi Neil Campling, analyste spécialisé dans la technologie auprès de la banque Mirabaud.
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Dans la santé
Et ensuite? «En consultant les sites d’emploi d’Amazon, nous pouvons également avoir une idée de la manière dont le groupe commence à se concentrer sur les nouvelles opportunités. Il y a des postes vacants pour un responsable du développement dans le domaine du capital-risque en santé, par exemple, et des ingénieurs recherchés pour Alexa Automotive, ce qui vous donne une idée du prochain centre d’intérêt d’Alexa», poursuit l’analyste.
C’est cet Amazon impossible à freiner sur la Terre – sauf peut-être par des autorités de régulation – que Jeff Bezos ne dirigera plus au jour le jour. Désormais, le voir s’envoler dans une capsule Blue Origin avec sa compagne Lauren Sanchez n’est sans doute qu’une question de mois.
Au cœur d’affaires sulfureuses
Avant 2019, Jeff Bezos était surtout connu pour ses méthodes de travail. Il y eut bien sûr cette phrase devenue culte: «Si vous ne pouvez pas nourrir une équipe avec deux pizzas, c’est qu’elle est trop grosse.» Il y eut aussi sa détestation des réunions inutiles (elles ne devaient, en plus, jamais commencer avant 10h) et l’importance qu’il accordait à son sommeil (au moins huit heures).
Mais depuis 2019, le nom de Jeff Bezos est aussi apparu dans les tabloïds. Cette année-là, c’est Twitter qu’il utilisait pour annoncer son divorce d'avec MacKenzie, épousée en 1992 et qui obtint environ 40 milliards de dollars. Le fondateur d’Amazon s’affiche dès lors avec la présentatrice de télévision Lauren Sanchez. La même année, Jeff Bezos dénonce publiquement un chantage: des individus ont réussi à pirater son téléphone et à dérober des photos intimes de lui ainsi que de celle qui était alors sa maîtresse – Lauren Sanchez.
Pourquoi ce piratage? Le milliardaire possède depuis 2013 le Washington Post, racheté 250 millions de dollars. Le quotidien a publié des articles critiques sur Donald Trump et il était aussi l’employeur du journaliste Jamal Khashoggi, tué au sein de l’ambassade saoudienne de Turquie. L’Arabie saoudite a été accusée par Jeff Bezos d’être derrière le piratage.
En parallèle, l’entrepreneur soupçonne que son inimitié avec Donald Trump a fait perdre à Amazon le contrat informatique JEDI d’une valeur de 10 milliards de dollars, à la suite d'un appel d’offres du Pentagone. Microsoft avait raflé la mise en 2019. A. S.