Pendant cette année des 20 ans, Le Temps met l’accent sur sept causes emblématiques. La sixième porte sur «la technologie au service de l’homme». Dans cette série, nous mettrons en avant des entreprises suisses orientées vers l’amélioration du quotidien.

Le premier épisode: Geosatis suit les prisonniers à la trace

C’était tout simplement «insensé». Le niveau de gaspillage alimentaire dans la restauration, Anastasia Hofmann et Naomi MacKenzie l’ont vu de leurs propres yeux lors de stages effectués pendant leur formation à l’Ecole hôtelière de Lausanne. La quantité de nourriture jetée est telle qu’elles se sont mises à réfléchir à une solution pour changer ce système qui leur semblait insoutenable, d’un point de vue éthique et écologique. Or «il n’existait aucune manière de mesurer ce gaspillage, autrement qu’en le comptant manuellement et systématiquement», explique Anastasia Hofmann. Ce que personne, ou presque, n’est prêt à faire.

On sait que sur le total des produits jetés, un tiers représente ce qui est inévitable, comme des coquilles d’œufs ou des pelures. Les deux tiers restants pourraient être évités, au moins en grande partie, estime Naomi MacKenzie. Outre l’aspect écologie, cela pourrait améliorer les marges bénéficiaires de 2 à 8%, selon ses calculs. C’est possible si on analyse ce qui est mis à la poubelle de façon systématique et automatique.

En janvier 2017: Une application pour lutter contre le gaspillage alimentaire débarque en Suisse

Calculer le coût du gaspillage

C’est ainsi que naît Kitro, d’abord sous forme de projet, puis comme start-up qu’elles cofondent en novembre 2017 à Lausanne. Leur système, encore en cours de développement, fonctionne avec des capteurs installés sous les lave-vaisselles et les poubelles, qui calculent le poids supporté par ces contenants. En parallèle, des caméras prennent des photos de tout ce qui est placé dans les lave-vaisselles et les poubelles pour visionner la nourriture jetée. Ensuite, un logiciel combine ces deux sources d’information et génère un rapport qui montre le coût du gaspillage. «Il permet de savoir quels aliments sont le plus souvent mis au rebut et si le problème vient de la production ou du retour des assiettes trop généreuses, par exemple», poursuit Naomi MacKenzie.

A partir de là, le restaurateur peut changer ses habitudes. D’autant que le gaspillage est souvent un problème sous-estimé, qu’on préfère ne pas voir, et les clients de Kitro sont presque toujours surpris par son ampleur, poursuivent les deux entrepreneuses qui ont fini leurs études à l’été 2016. Une fois qu’ils ont les chiffres sous les yeux, ils sont beaucoup plus enclins à changer.

Une étude en 2016: Gaspillage alimentaire: la Suisse généreuse avec ses poubelles

Projets pilotes dans toute la Suisse

Désormais, Kitro réalise plusieurs projets pilotes dans toute la Suisse. La start-up vise les grandes chaînes de restaurants, des cantines, des écoles, notamment, où les quantités sont les plus importantes. «Le gaspillage est moins présent dans les petits restaurants où le propriétaire est souvent là et où les coûts doivent être encore mieux contrôlés», explique Anastasia Hofmann.

La chaîne de burgers Holy Cow a été la première à tester la solution. D’autres, comme les restaurants Coop et l’Université de Lausanne, ont suivi. Certains des projets déjà menés ont pu réduire de 40% la masse de produits jetés, soutiennent les startupers. Elles ont aussi rallongé les durées des projets, qui s’étendent désormais de six à douze mois, car les précédents – entre un et trois mois – n’étaient pas assez longs pour véritablement changer les comportements.

Kitro compte désormais cinq personnes et souhaite en recruter une sixième, pour poursuivre le développement informatique. En parallèle, elle cherche à boucler son premier tour de financement, dont elle préfère, pour l’instant, taire le montant. Pour l’heure, la start-up a pu compter sur des prix gagnés lors de compétitions et des locaux gratuits à Zurich. Et elle n’exclut pas de s’étendre hors du pays lorsque le produit sera fin prêt. «Le gaspillage existe aussi hors de Suisse, rappelle Anastasia Hofmann. Et ce marché est petit.»