Ce n’est plus qu’une question d’heures. Cette semaine, plusieurs milliers de Suisses vont tester l’application de traçage du virus développée par l’EPFL. Testée initialement par un petit groupe d’ingénieurs, l’application avait été expérimentée ces dernières semaines par des soldats simulant des situations de la vie réelle. Dès ce lundi, ce seront plusieurs milliers d’employés de l’EPFL, de l’EPFZ, de l’armée et d’établissements de santé qui participeront à l’essai pilote. Un test grandeur nature, donc, puisqu’il s’agira de voir comment l’application fonctionnera au sein du système sanitaire suisse. C’est un moment crucial pour une application, baptisée désormais SwissCovid, qui suscite espoirs, craintes et critiques. Et qui sera disponible pour 8 millions de Suisses en juin.

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D’ici à deux ou trois semaines, chacun pourra ainsi, avec son smartphone, se rendre sur le magasin d’applications d’Apple et de Google pour télécharger gratuitement SwissCovid. Pour savoir d’ores et déjà comment fonctionne ce programme, Le Temps s’est rendu en fin de semaine dernière dans un petit village proche de Nyon. C’est là que vit Alfredo Sanchez, chef de projet à l’EPFL pour le déploiement de l’application SwissCovid. L’ingénieur contemple plusieurs téléphones posés sur une table. «Maintenant, nous sommes prêts du point de vue technique. Nos équipes travaillent depuis mi-mars sur cette application, et nous continuerons de l’améliorer au travers de son utilisation dans le monde réel.»

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Actif en permanence

Alfredo Sanchez saisit l’un de ses smartphones. Sur l’écran, on distingue l’icône de l’application. «Lorsque vous l’installerez, elle vous demandera l’autorisation d’utiliser le Bluetooth et de vous envoyer des notifications. Et c’est tout. Vous n’aurez plus rien à faire ensuite. Du moment que le téléphone est allumé et qu’il n’est pas en mode avion, le programme sera – même fermé – en permanence actif pour détecter la présence d’autres smartphones équipés de la même application.» SwissCovid analysera sans discontinuer, via Bluetooth. S’il trouve une application similaire, il échange avec elle un code – du type DHFH42DJDG25F – qu’il conserve en mémoire sur le téléphone – aucune donnée ne quitte l’appareil.

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Supposons que le propriétaire d’un téléphone apprenne qu’il est positif au coronavirus. Son médecin lui donnera un autre code, composé de 12 chiffres, lui permettant de se déclarer anonymement. Libre à cette personne de taper ce code dans l’application. «On a prévu un deuxième écran, l’informant qu’elle va partager ses codes aléatoires avec l’application, poursuit Alfredo Sanchez. Et il est clairement stipulé que ni l’identité ni le résultat du test ne seront partagés avec qui que ce soit.» Les coordonnées de la personne infectée demeurent ainsi au sein du système de santé et à aucun moment ne sont transmises.

Responsabilité individuelle

Ensuite, l’application indique que le traçage est terminé. Et sur l’écran d’accueil apparaît le message «Vous avez été testé positif au coronavirus.» Mais si une tierce personne ouvre l’application, ne risque-t-elle pas de voir cette information sensible? «Chaque personne est responsable de protéger l’accès aux données de ses applications (comme l’e-mail, les photos, WhatsApp…), et rien ne vous empêche de désinstaller l’application, qui n’effectue plus aucun traçage.»

Maintenant, que se passera-t-il du côté des personnes qui ont été en contact avec des individus infectés durant la période de contagion? Elles recevront une notification sur leur téléphone, avec le message suivant: «Infection possible. 18 mai 2020/depuis 1 jour.» La personne saura donc quel jour elle aura été à proximité d’une ou de plusieurs personnes déclarées positives, mais elle ne saura jamais à quel endroit cela s’est passé, ni de qui il s’agissait. Sur l’écran suivant, l’application enjoint à la personne d’appeler l’«Infoline Coronavirus» de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour qu’un membre du corps médical lui pose des questions, l’oriente potentiellement vers un endroit où se faire tester et lui conseille de se mettre en isolement.

Téléphones à mettre à jour

Du côté technique, Alfredo Sanchez assure que la machine est prête pour un essai pilote à plus grande échelle. «Maintenant, il sera très important, dès ce lundi, de voir comment l’application s’intégrera au sein du système sanitaire. Nous n’allons pas utiliser de fausses données, mais des informations réelles: nous allons observer comment fonctionnera le système lorsqu’un cas avéré de Covid-19 sera déclaré. Et nous espérons bien entendu qu’il y en aura le moins possible.»

Ce test dans la vie réelle n’est qu’une étape. Car le parlement doit encore adopter, lors de sa session de juin, une loi spécifique permettant à la Confédération de proposer l’application à tout le monde. D’ici là, les propriétaires de smartphones devront mettre à jour leur système d’exploitation. Google et Apple viennent d’envoyer une nouvelle version de leurs systèmes Android et iOS: ces mises à jour faciliteront l’utilisation de l’application de traçage du virus, notamment en faisant en sorte que le Bluetooth puisse être librement utilisé en arrière-fond et sans avoir un impact trop important sur la batterie.

Respect de la vie privée

Alfredo Sanchez l’assure, «le respect de la vie privée et de l’anonymat est au centre de notre concept. Ce sont des éléments fondamentaux et nous les avons eus en tête dès le départ. Nos travaux en ce sens, à l’EPFL et à l’EPFZ, ont fortement influencé les développements réalisés par Apple et Google.» Le chef de projet s’attend-il à une adoption de l’application à large échelle? «C’est impossible à dire. Mais même si seulement une partie de la population l’utilise, cela devrait avoir un impact bénéfique sur la courbe de progression de la maladie.»