Consommation
Les sites de vente en ligne investissent toujours plus dans les enseignes physiques. Objectifs: multiplier les points de retrait et fidéliser les internautes volages

Il est 9h55. La boutique lausannoise de Digitec ouvre dans 5 minutes mais ils sont déjà six à patienter devant l’entrée. A l’ouverture, ils se dirigent vers une borne, prennent un ticket puis attendent d’être appelés à un guichet où sont postés les vendeurs.
L’un des clients du site de vente en ligne repart rapidement avec une imprimante qu’il avait préalablement commandée via Internet. Un autre s’attarde sur les appareils photo en exposition dans le «showroom». Un troisième se fait expliquer le fonctionnement d’un projecteur miniature.
A l’image de nombreuses autres plateformes d’e-commerce, Digitec Galaxus s’appuie désormais sur des boutiques physiques. Un modèle d’affaires hybride qui lui permet de mieux fidéliser sa clientèle et de s’octroyer plus rapidement les parts de marché, encore majoritaires, du commerce traditionnel.
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«Les pics de fréquentation ont plutôt lieu vers autour de midi, ou en fin de journée, mais il y a des clients tout au long de la journée. Ils viennent de Lausanne, de Genève, de Fribourg, du Valais et même parfois de France», assure Steve Cosandey, le gérant de la boutique Digitec, à laquelle sont accolés une surface de stockage ainsi qu’un centre d’appels. «Ce n’est pas seulement un lieu de retrait, le but est aussi de nouer des contacts et de fournir des conseils, poursuit-il. Nous pensons qu’il est important, notamment pour l’ancienne génération, de savoir que derrière le site internet, il y a des professionnels à qui ils peuvent s’adresser.»
«J’aime le contact humain»
A l’extérieur, Marcos repart avec un tapis de souris surdimensionné. «C’est un modèle pour les gamers», explique-t-il, avant de confirmer les dires du gérant: «J’étais client dans un autre magasin spécialisé, mais j’ai changé, je les trouve plus sympathiques ici.» Paradoxalement, cet informaticien de métier ne commande rien en ligne: «Je consulte le site pour savoir ce dont ils disposent en stock, mais je préfère venir ici pour acheter, j’aime avoir un contact humain.»
A l’origine, Digitec, qui a créé Galaxus en 2010 pour étendre son éventail de produits aux meubles ou aux articles de sport, n’était qu’un site internet spécialisé dans l’informatique. Mais il a peu à peu développé un réseau de boutiques et de centres logistiques. La société zurichoise, qui a lancé une vaste campagne d’affichage ces derniers mois, en compte désormais neuf dans le pays, dont une plaque tournante à Wohlen. Elle devrait ouvrir une dixième enseigne à Genève prochainement.
Zalando rassure Heidi.com
Cette évolution vers un modèle d’e-commerce hybride n’est pas un acte isolé. Si les grandes enseignes traditionnelles ont saisi depuis longtemps l’impératif d’avoir un site internet, les exemples inverses, de vendeurs en ligne qui investissent dans des présences physiques, se sont multipliés. Depuis 2012, Koala.ch, le site genevois spécialisé dans les chaussures, s’est associé au magasin Aeschbach. Mais fin avril, lors d’une présentation à Palexpo, son patron a dévoilé son objectif 2016: ouvrir de nouvelles boutiques.
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A Neuchâtel, la petite marque de vêtements Heidi.com a aussi misé sur un modèle hybride. Pendant plus de dix ans, elle vendait seulement par le biais de son site. Mais à fin 2013, elle a ouvert une surface de vente résolument futuriste. A Neuchâtel, la boutique au style minimaliste compte deux bornes interactives qui permettent aux clients de consulter l’ensemble du stock de produits, puis de commander en ligne depuis le magasin.
Un mélange des genres un peu trop futuriste pour l’instant, concède Willy Fantin, le cofondateur de Heidi.com. «L’acte d’achat est encore un peu difficile. Il faudra du temps pour que le concept entre dans les mœurs. Par contre, ces bornes sont un très bon outil de travail pour la vendeuse qui accompagne le client.» Si le concept demande encore des améliorations, pour le mode de connexion ou de paiement, Willy Fantin est convaincu de la pertinence de cette stratégie hybride. «Le fait de voir les grands sites internet investir dans des boutiques physiques me conforte dans cette voie.»
Il peut être rassuré. Zalando, l’emblème de l’explosion de l’e-commerce, fait aussi un pas vers le commerce dit «stationnaire». Dès ses débuts, le géant berlinois du prêt-à-porter en ligne a fondé une partie de son succès sur les vieilles habitudes de consommation. Respectivement, sur la facilité avec laquelle ses clients peuvent – gratuitement – essayer des articles à domicile et ne garder que ce qui leur convient.
Trois quarts des ventes en magasin
Aujourd’hui, Zalando veut s’étendre aux rues marchandes et aux centres commerciaux. Son idée: s’allier avec des boutiques existantes. A Berlin, l’enseigne Bodycheck fait office de ballon d’essai. Les clients commandent sur le site Zalando et leur colis est livré par le partenaire, chez qui il est aussi possible de restituer les vêtements. «L’idée de Zalando est aussi de transférer le risque de stocks aux commerçants. Cela dit, personne ne les imagine ouvrir des centaines de magasins, à l’image de H&M ou de Zara», indique Patrick Kessler, le président de l’Association suisse de vente à distance (ASVAD).
Selon lui, cette tendance vers l’hybride revêt d’abord une logique mathématique. Malgré une forte croissance, le commerce en ligne ne représente pour l’instant que 15% (vêtements et chaussures) à 25% (électronique) du marché suisse. Le reste se vend encore dans les magasins. Une manne dont les sites ont aussi envie de profiter, sachant que le taux de conversion – le rapport entre le nombre de visites et le nombre de ventes – varie entre 1 et 2% en ligne, contre environ 30% dans une boutique.
La combinaison doit être parfaite
Commander en ligne, se faire envoyer un article ou aller le chercher soi-même à la sortie du bureau. Tester à la maison, le renvoyer par voie postale ou le ramener dans un point de collecte… Tout autant que la rapidité de livraison, la diversité des modèles d’interaction est aujourd’hui le nerf de la guerre dans un secteur de plus en plus concurrentiel. «A la condition que la combinaison entre le site internet et les boutiques soit parfaite, ce mélange est l’avenir de l’e-commerce», lance Patrick Kessler.
Ce n’est pas pour rien si, en Suisse, Digitec Galaxus commence à talonner les Media Markt et autres M-Electronics. En avril 2015, le groupe Migros est d’ailleurs devenu actionnaire majoritaire de la société. La conséquence la plus visible, c’est qu’il est désormais possible de retirer ou de retourner une commande chez les filiales du distributeur, comme Ex Libris, SportX ou dans les shops Migrolino.
Pour compléter le dispositif, à Lausanne, près de la gare de Prilly-Malley, la boutique Digitec Galaxus met aussi à disposition un parking gratuit pour ses clients. Un parking qu’il partage avec son voisin direct, Aldi, un autre de ces nouveaux commerçants qui, à sa manière, bouleverse aussi les vieilles habitudes du commerce de détail helvétique.
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