Réseau
Plus de 300 câbles sous-marins assurent la circulation mondiale des données. Ils sont devenus indispensables à la croissance de la Silicon Valley, qui finance désormais ses propres câbles pour moins dépendre de ceux des télécoms

Fin mars, pendant près de quarante-huit heures, il n’était plus possible d’envoyer un e-mail en Mauritanie. La Sierra Leone, la Guinée ou le Liberia ont également connu des coupures partielles. En cause: la rupture du câble sous-marin ACE, qui s’étend sur 17 000 kilomètres entre l’Afrique du Sud et la France, fournissant un accès internet à 22 pays.
L’origine de cette panne n’est pas encore clairement établie – accident causé par l’ancre d’un bateau, comme cela arrive régulièrement, ou geste intentionnel? L’incident suffit en tout cas à rappeler l’importance stratégique du 1,2 million de kilomètres de câbles assurant, depuis les fonds marins, la circulation de 97% des données à l’échelle intercontinentale, selon les chiffres du Forum de coopération économique Asie-Pacifique.
Les GAFA à la place des télécoms?
Le monde communique grâce aux océans depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. A l’époque, il n’était question que de télégrammes. Aujourd’hui, plus de 300 câbles en fibre optique, du diamètre d’un tuyau d’arrosage, transportent une quantité phénoménale d’informations à une vitesse proche de celle de la lumière.
L’installation de ces câbles a longtemps été la seule affaire des entreprises de télécommunications. Mais comme dans tant d’autres secteurs, les géants de la Silicon Valley ont fait une entrée remarquée dans le jeu. Début avril, Google a par exemple annoncé la construction du câble JGA reliant le Japon à l’Australie en passant par l’île de Guam, soit 9500 kilomètres de long. JGA, d’une capacité de 36 térabits par secondes, sera fonctionnel à la fin de 2019.
Google dit avoir investi 30 milliards de dollars dans ses infrastructures ces trois dernières années et prévoit également la mise en place d’une liaison entre le Chili et Los Angeles (Curie, en hommage à la scientifique Marie Curie) et entre les Etats-Unis et le Danemark (Havfrue, «sirène» en danois). Le leader des moteurs de recherche, qui a fait ses premiers pas dans le secteur en 2008, détient désormais tout ou partie de 11 câbles sur la planète.
Google a besoin de bande passante pour son moteur de recherche et pour YouTube. Mais il compte surtout combler le fossé qui le sépare d’Amazon dans le secteur du cloud
En 2017, Microsoft et Facebook ont financé, avec l’opérateur espagnol Telefonica, Marea, un câble de 6000 kilomètres entre la Virginie et Bilbao. Il serait capable de transmettre 160 térabits par seconde. Amazon a réalisé son premier investissement en 2016 avec Hawaiki, reliant les Etats-Unis à l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Le cloud comme enjeu central
«Ces entreprises continuent d’utiliser les câbles des télécoms en plus de ceux dans lesquels elles investissent», explique au Temps Alan Mauldin, directeur de la recherche chez TeleGeography, un cabinet d’études spécialisé dans les télécommunications. «Mais compte tenu de l’ampleur de la demande, elles préfèrent investir plus dans leurs propres projets. Elles veulent contrôler là où arrivent les câbles [près de leur data center, ndlr], avoir accès à de la capacité à un meilleur prix ainsi qu’à l’échelle de capacités dont elles ont besoin pour leur croissance», ajoute le chercheur.
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«Tous nos investissements améliorent notre réseau, qui, selon certains calculs, délivre 25% du trafic internet mondial», affirme dans un communiqué Ben Treynor Sloss, vice-président de la plateforme Cloud de Google. «Les fournisseurs de contenus ont construit une architecture centrée sur les Etats-Unis», signale toutefois Alan Mauldin, notant que «leurs investissements dans des systèmes reliant directement l’Europe et l’Asie sont quasi inexistants».
Même si Google a besoin de bande passante pour son moteur de recherche et les vidéos de YouTube, le groupe de Mountain View compte sur son infrastructure grandissante pour combler le fossé avec Amazon dans le secteur dynamique du cloud. Avec une moyenne de 4 milliards de dollars de revenus par trimestre, le numéro un du commerce en ligne contrôle toujours un tiers du marché. Microsoft (avec Azure) et Google (1 milliard de dollars de revenus au quatrième trimestre 2017) connaissent une forte croissance.