Elle a fini par s’en amuser, Marie-Laure Burgener, de présenter sa start-up et qu’au moment des questions ses interlocuteurs lui demandent qui a vraiment eu l’idée? Qui est le directeur et qui a trouvé l’investisseur? Ou que ces mêmes interlocuteurs s’adressent à son graphiste plutôt qu’à elle. Ce dernier lui renvoie la balle, la plupart du temps sans succès. «J’ai constaté qu’on ne pose pas les mêmes questions aux hommes et aux femmes, surtout dans la tech», explique celle qui a créé sa start-up GreenGoWeb en 2012.

Surprise, oui, découragée, non. Elle a des anecdotes à la pelle qu’elle raconte avec un certain détachement, parfois même avec humour, comme une combattante de retour du champ de bataille. Loin de se victimiser et de se laisser impressionner, cette Valaisanne aux origines iraniennes opte pour le pragmatisme et imprime une carte de directeur à son graphiste. Elle se met en retrait, sourit et prend des notes. «Il était mon cheval de Troie, pour aborder des investisseurs ou des clients.»

Ça fonctionne: «Il était halluciné, lui aussi, de l’ampleur des différences de traitement et on se rendait compte que le tandem homme/femme fonctionnait mieux qu’une femme seule», poursuit-elle. Un subterfuge qu’elle n’est pas la seule à avoir utilisé: aux Etats-Unis, racontait le New York Times en août dernier, deux cofondatrices de start-up se sont inventé un cofondateur, qui leur obtenait des rendez-vous avec une facilité déconcertante.

La révélation de Fukushima

L’idée de GreenGoWeb, c’est bien Marie-Laure Burgener qui la trouve, en 2011, lorsqu’elle effectue une formation en développement durable à l’IMD à Lausanne. Seule indépendante, cheffe de projets web, elle se retrouve au milieu de représentants de multinationales, «très fiers des programmes de développement durable de leur entreprise, pourtant très opaques». Puis se produit la catastrophe de Fukushima. «J’ai vu leur malaise et j’ai compris qu’il y avait encore beaucoup à faire, que les employés pouvaient être des ambassadeurs et que, avec une approche de la base vers le sommet, ils pourraient modifier la durabilité de leur entreprise ​tout en générant des statistiques – anonymisées – certifiées», raconte cette entrepreneure énergique et drôle.

En découle l’idée d’une app, où collègues, équipes, étages d’une entreprise s’affrontent pour savoir qui aura le plus de gestes écologiques, comme imprimer moins, prendre les escaliers au lieu de l’ascenseur… C’est la gamification, approche ludique du changement de comportement, utilisée pour la première fois dans le développement durable, qui servira à réveiller les consciences et, au passage, à mesurer l’impact collectif sur l’empreinte carbone d’une entreprise. Procter & Gamble, dont un cadre participe aussi au cours, est emballé par le projet, qui trouve ainsi son premier client avant même d’exister.

«Richard Branson suisse»

Il faudra un an et demi pour fabriquer le premier prototype, directement testé chez Procter & Gamble à Genève. Une première campagne qui dure six mois et dont Accenture a vent. Le cabinet de consultants propose de mettre les moyens à disposition pour développer la version bêta de l’app. D’autres entreprises se montrent intéressées, puis des entités étatiques.

Le développement continue jusqu’à ce que GreenGoWeb se retrouve «victime de son succès». Trop d’intérêt et une fondatrice «peut-être un peu trop consciencieuse», qui préfère faire attendre les demandes plutôt que bâcler le travail. Elle cherche donc un partenaire ou un investisseur, sans trouver, du moins pour l’instant, le candidat qui partage sa vision pour poursuivre le travail. «Une sorte de Richard Branson suisse», si possible.

Impact dans la durée

Même si le modèle est «toujours demandé», Marie-Laure Burgener voit plus large: «Une app, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant pour avoir un impact à long terme et créer une culture et une conscience écologiques, j’ai donc réfléchi à des méthodologies pour engager les employés», explique-t-elle. L’une semble particulièrement intéressante: les hackathons, ces rencontres de hackers, le temps d’un week-end, pour trouver des solutions technologiques et innovantes à un problème, dont elle est une habituée.

Invitée à la COP23 pour en parler comme d’un outil au service du développement durable, elle réfléchit désormais à se lancer dans la recherche académique «sur ce phénomène qui pourrait bien devenir une forme de management au XXIe siècle» et s’est tournée vers «des approches des solutions plus intégrées notamment en créant des «makerspaces» (hackathons internes) permettant d’impliquer les employés dans la création de projets durables».

Une nouvelle étape dans une carrière qui en a déjà compté plusieurs, puisqu’elle a commencé dans le cinéma comme régisseuse. Avant de se rendre compte qu’elle voulait poursuivre ses études. Elle s’envole alors pour Washington, où elle étudie le journalisme interactif. Quand elle rentre en Suisse, elle s’occupe de la communication en ligne du World Economic Forum, officie chez Edipresse dans le cadre de la refonte des sites du groupe Matin, puis se lance en indépendante pour utiliser «mes compétences dans un domaine plus proche de mes valeurs». La suite, on la connaît.


Profil

2001 Master en journalisme interactif à Washington.

2002 World Economic Forum.

2012 Création de GreenGoWeb.

2013 Lancement chez Procter & Gamble.

2017 Présentation des hackathons à la COP23.