Mort de l'exception culturelle: le CSA interpelle Vivendi Universal
Polémique. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel français demande au groupe de Jean-Marie Messier des informations sur l'intégration dans son capital de certains actifs de USA Networks
Fort de son dernier «coup» – l'acquisition par son groupe des actifs de USA Networks dans le cinéma et la télévision pour les fusionner avec Universal Studios (Le Temps du 18.12.01) – Jean-Marie Messier avait en décembre dernier le ton provocateur de ceux qui peuvent désormais tout se permettre. En déclarant «l'exception culturelle est morte» et en fustigeant «l'archaïsme» du financement du cinéma français (Le Temps du 20.12.01), le patron du numéro deux de l'audiovisuel mondial provoqua un émoi sans pareil dans les milieux culturels hexagonaux. Et, à gauche comme à droite, tous les représentants de la classe politique française de condamner avec véhémence les propos du patron de Vivendi Universal. Dernière réaction en date, celle d'André Rousselet, l'ancien président-fondateur de Canal+, qui, comme le révélait Le Figaro dans son édition de jeudi, sort de la stricte réserve qu'il observait depuis son départ en adressant une lettre au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel français (CSA), Dominique Baudis, dans laquelle il interpelle l'organe de contrôle: «Cette déclaration (la mort de l'exception culturelle, ndlr) faite à l'occasion de l'annonce de la reprise par son groupe de la partie «entertainment» de USA Networks, de l'entrée par échanges d'actions de John Malone dans son capital et de la nomination de Monsieur Barry Diller à la tête de l'ensemble du secteur programmes de Vivendi Universal, ne laisse pas de nourrir de légitimes inquiétudes quant à l'avenir de Canal+ et du cinéma français, inquiétudes qui ne peuvent […] qu'être partagées au premier chef par l'instance que vous présidez.» Surtout, André Rousselet demande au CSA de vérifier la conformité du groupe de télévision payante appartenant désormais à Vivendi Universal avec la loi française. L'article 36 de la loi du 30 septembre 1986 impose en effet que les actions représentant le capital d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service de communication audiovisuelle soient nominatives. De plus, l'article 40 de la même loi fixe que la part du capital détenu par des personnes physiques ou morales n'ayant pas la nationalité française (européenne par extension) ne saurait excéder 20% du capital social d'une société audiovisuelle. Si le groupe de Jean-Marie Messier avait satisfait aux exigences du CSA lors de sa restructuration de l'été 2000 et avait alors rempli les conditions légales ad hoc, André Rousselet souffle à Dominique Baudis que la situation aurait pu changer depuis: «[…] il ne serait pas surprenant que, depuis, la stratégie de Monsieur Messier, si elle est au plan industriel ou médiatique de la seule compétence des organes dirigeants de son groupe, n'ait eu pour corollaire une évolution de son actionnariat qui placerait aujourd'hui Vivendi Universal, notamment dans les responsabilités qu'il assume au sein de Canal+, dans une situation d'infraction par rapport à la législation en vigueur.» Le CSA faisait d'ailleurs savoir mercredi qu'il a demandé à Vivendi Universal des informations sur l'intégration dans son capital de certains actifs de USA Networks et ses conséquences sur Canal+. Une nouvelle entité a été créée, Vivendi Universal Entertainment, dont Vivendi Universal détiendrait 93% du capital. Dans une lettre adressée le 24 décembre à Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi Universal, le président Dominique Baudis indique que le CSA «doit examiner la nouvelle situation de Vivendi Universal induite par ces modifications et par voie de conséquence celle de Canal+. En effet, les sociétés titulaires d'une autorisation de diffusion par voie hertzienne terrestre doivent notamment respecter l'article 40 de la loi du 30 septembre 1986 qui interdit à la société Canal+ d'être détenue à plus de 20% par des personnes extérieures à la Communauté européenne.» Dominique Baudis demande que ces informations lui soient adressées «dans les meilleurs délais». Hasard ou coïncidence, Jean-Marie Messier était jeudi matin l'invité de Question Directe sur France Inter où il répondait à Stéphane Paoli. Le patron de Vivendi Universal affirmait avoir répondu à Dominique Baudis «le lendemain du jour de l'an» en lui assurant que les nouvelles structures de son groupe ne changeaient rien pour Canal+. Au sujet de la «mort de l'exception culturelle», il déclarait ne pas «regretter cette petite phrase, mais le malentendu qu'elle a provoqué». Et d'expliquer que la politique de Vivendi Universal est de «favoriser la diversité culturelle». Il a d'ailleurs confié un «secret» à Stéphane Paoli: son successeur en cas de malheur serait Français…