Concept
Genève rêve de se transformer en immense terrain de jeu technologique. Objectifs: gérer de manière intelligente son territoire, tout en offrant aux start-up de la nouvelle économie une infrastructure inédite pour tester leurs produits

La transition vers le numérique figure parmi les priorités de la stratégie économique 2030, lancée par les autorités genevoises il y a un an. L’une des pierres angulaires du dispositif: le «smart canton». Soit un projet ambitieux de gestion agile du territoire, 100% connecté grâce aux nouvelles technologies. L’initiative, exigeant d’adapter les infrastructures (capteurs à bas débit, fibre optique coiffée d’antennes, etc.), ne coûterait que quelques millions de francs pour être opérationnelle.
Des initiatives comparables existent déjà, à l’échelle d’Etat, de villes, de municipalités ou, plus sporadiquement, émanant du secteur privé. Mais la complexité et la philosophie du dispositif envisagé à Genève, ferait du concept visé une première mondiale. Explications de Pierre Maudet, ministre genevois de l’économie.
Le Temps: En quoi consiste votre projet de «smart canton»?
Pierre Maudet: La démarche consiste à utiliser les nouvelles technologies comme des capteurs, des objets connectés et des données pour améliorer la qualité de vie urbaine. La première étape du projet sur lequel nous travaillons consistera à déployer l’infrastructure, les entreprises et les acteurs publics prendront ensuite le relais avec le développement de services utiles aux citoyens. La plateforme devrait donc être ouverte et interopérable pour tous les prestataires désireux de s’y raccrocher. C’est une vision à long terme, orientée vers l’efficience énergétique et environnementale, via l’optimisation des services en rapport notamment avec le trafic, la mobilité, la pollution, l’énergie, la sécurité publique, l’éducation ou la santé.
- Que compte faire le canton des données de masse ainsi générées?
- Il est impératif que la gouvernance soit principalement assurée par l’Etat. Il en va de la protection de la sphère privée.
- Genève doit-il ici jouer le rôle de pionnier, de modèle ou d’incubateur?
- Je dirais les trois à la fois. Genève est déjà pionnier à l’échelon international avec son système de vote électronique. C’est aussi un acteur dynamique dans le domaine de l’«open data», via le système d’information du territoire [SITG]. Et il compte le premier incubateur de start-up de Suisse, la Fongit.
- Le numérique est-il un enjeu déterminant pour le canton?
- Ce secteur fait partie de nos priorités. Le numérique est indissociable de l’avenir de Genève, berceau du Web. Mais il faut agir vite, sans négliger les risques réels en matière d’emploi ou sur le plan de la protection des données et de la sécurité de l’information. Aujourd’hui, l’Etat de Genève fait un pas supplémentaire en se dotant d’une stratégie des systèmes d’information et de communication qui pose les fondements d’une politique numérique.
- Comment vos réflexions doivent-elles se matérialiser ces prochains mois?
- Faire face aux enjeux du numérique n’est pas un «alleingang», mais une approche pluridisciplinaire. L’avenir sera façonné par l’intelligence artificielle, la robotique, les neurosciences, les nanotechnologies, le «big data» [ou données massivement collectées], l’internet des objets. Ou encore la réalité virtuelle, la cryptologie, la «blockchain», la fabrication additive [impression 3D]. Le choc de ces disciplines n’est plus une hypothèse, mais une réalité. Le politique se doit de la maîtriser, pour prendre les bonnes décisions.
- Sur quel type de terreau pensez-vous pouvoir concrétiser vos idées?
- Le terreau est extrêmement fertile. Genève dispose de pôles d’excellence à haute valeur ajoutée: horlogerie, chimie fine, sciences de la vie, finance, aéronautique, etc. Il bénéficie d’une offre académique et de recherche de premier plan, sans oublier la présence des instances internationales et de la diplomatie numérique [ICANN].
- Pensez-vous que certains acteurs sont inconscients de la révolution copernicienne qui les attend?
- Je crois qu’une partie des acteurs n’a pas encore pris la mesure des bouleversements, tant sur les modes de pensées et d’organisation de nos sociétés, que sur les modèles d’affaires traditionnels.
- Est-ce vraiment le rôle de l’État d’apporter des réponses aux révolutions affectant le secteur privé?
- L’Etat ne se substitue pas au secteur privé. C’est néanmoins un acteur incontournable pour accompagner ces changements. Il doit apporter de la cohérence entre les acteurs, anticiper les besoins en formation, et mettre en place les conditions-cadres, infrastructures et services pour y parvenir. Dans ce processus, l’administration cantonale se doit d’être exemplaire.
- Hormis la pédagogie industrielle, que faut-il faire pour ne pas rater la marche du numérique?
- Notre stratégie économique 2030 esquisse déjà de nombreuses pistes: renforcer les fintech et la sécurité informatique; stimuler les plateformes d’échanges – Fab Lab ou parcs d’innovation -; déployer la ville intelligente, etc.. Mais aussi encourager l’entrepreneuriat et le financement des start-up, attirer et développer des talents. La fin de l’année 2016 devrait déjà voir certains de ces chantiers se concrétiser.
- Les banques semblent être parmi les plus réticentes aux changements.
- Le monde bancaire a pris la mesure des enjeux. Il explore de nouvelles pistes, comme par exemple l’émergence de la finance durable. La tenue, fin septembre, de la plus grande conférence interbancaire SIBOS à Genève, sera l’occasion de promouvoir notre fintech locale.
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