Lorsque l’internaute entre sur le site web de Lemonade, il fait face à un message aussi simple que prometteur: «Oubliez tout ce que vous connaissez du monde de l’assurance.» Aujourd’hui, l’assuré est trop souvent frustré par des primes chères pour des produits compliqués qui finalement ne protègent pas contre les risques que l’on espérait couverts.

La start-up new-yorkaise, qui se définit comme une société technologique spécialisée dans l’assurance, garantit que le client est assuré en 90 secondes et qu’il est payé en trois minutes en cas de sinistre. L’offre plaît. La croissance des clients est exponentielle.

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Pas d’incitation à baisser le risque

Selon son modèle d’affaires, le client paie une commission fixe à l’assureur et le reste est versé dans un pool de risque dont la fortune est utilisée en cas de sinistre. Et s’il reste de l’argent dans le pool à la fin de l’année, une partie est versée en dons (jusqu’à 40%) selon les vœux des assurés. Il n’y a pas d’incitation pour l’assureur de minimiser la facture du sinistre.

Dans l’insuretech, soit l’assurance combinée aux nouvelles technologies, le confort du client est l’alpha et l’oméga. «Bientôt, tous les produits d’assurance d’un individu se trouveront sur le même support, par exemple un smartphone», prévoyait Eric Lombard, directeur de Generali France, récemment lors d’une conférence d’Insurance Europe, à Zurich. Les investissements abondent, 4,7 milliards de dollars ont été investis dans l’insuretech depuis 2011, selon CB insight.

En septembre, Lemonade a également introduit le «zéro franchise». Selon le modèle traditionnel, lorsque l’assuré dispose d’une franchise de 500 francs et qu’il perd son ordinateur portable d’une valeur de 1000 francs, il est remboursé de 500 francs et risque une hausse de la prime parce que son profil est supposé plus risqué. Lemonade supprime la franchise, rembourse à hauteur de 1000 francs et n’augmente pas la prime. L’utilisation de l’intelligence artificielle, à travers un chatbot (un logiciel qui dialogue avec un utilisateur), lui permet de traiter mille fois plus de sinistres qu’une équipe de conseillers.

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Conseil virtuel très demandé

Trov, une start-up californienne propose quant à elle une assurance à la demande et par smartphone (accidents, vols, pertes) de ce que l’individu désire et durant le temps qu’il souhaite, à la maison ou en voyage. Les demandes de sinistres se font par une application sur smartphone. Les deux tiers de ses assurés ont moins de 35 ans. Cet assureur «intelligent», qui a levé 85 millions de dollars depuis ses débuts, a commercialisé son service en Australie et au Royaume-Uni et s’apprête à l’offrir en Allemagne, au Japon, et aux Etats-Unis.

Les clients approuvent cette transformation de la couverture des risques. Quelque 74% des individus désirent un conseil virtuel généré par ordinateur, selon une étude d’Accenture. Dans un monde où l’internet permet de mieux coller aux besoins de l’individu, les nouvelles pistes sont gigantesques, de la prévention des accidents à la définition du profil de risque, par exemple grâce à l’internet des objets, jusqu’au règlement des sinistres.

Le britannique Vitality récompense par exemple ses clients pour leur train de vie sain et sportif. Il s’est maintenant lié à Generali en Europe et Ping An en Chine. L’intelligence artificielle installée dans un ménage à travers divers capteurs permet d’avertir l’assuré d’événements inhabituels, réduit les risques et finalement les primes d’assurance. Le britannique Cocoon, spécialiste de la sécurité, est ainsi lié à Zurich Insurance.

Limites de l’individualisation

L’individualisation des primes évite les imprécisions. Plutôt que d’avoir une prime sur une maison qui dépend des estimations de risque du quartier ou du village, il sera possible à un ménage qui habite dans un village qui risque l’inondation d’avoir une prime inférieure s’il prend des mesures pour surélever son logement.

Les limites de l’individualisation doivent toutefois être analysées. La législation européenne entend interdire la définition d’une prime en fonction du genre. Les opportunités créées par les nouvelles technologies ne devraient pas exclure les mauvais risques. Selon Ursula Pachl, responsable de l’Organisation des consommateurs européens (BEUC), «un individu à haut risque et faible revenu risque de s’acquitter d’une prime plus élevée que les autres ou même d’être exclu de la plupart des protections». L’individualisation des primes pourrait briser le principe de solidarité qui est au cœur de l’assurance.

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A l’inverse, les nouvelles technologies ouvrent la porte à un rassemblement d’individus en quête d’une protection identique, à l’image d’un projet de crowdfunding (financement participatif). «Entre le modèle traditionnel et l’assurance P2P (personne à personne), les acteurs devront redéfinir leur valeur ajoutée», indiquait à Zurich Maarten Edixhoven, responsable d’Aegon aux Pays-Bas.

Voiture plus intelligente et moins risquée

La transformation de l’assurance progresse, en premier lieu à travers l’automatisation des processus. Les premières victimes seront donc les départements administratifs et les services de distribution. D’ailleurs les deux tiers des start-up de l’assurance proposent un nouveau mode de distribution, selon un rapport d’Accenture.

Des branches entières de l’assurance seront disruptées. Le total des primes d’assurance automobile devrait chuter jusqu’à 70% d’ici à 2040, selon une étude de Boston Consulting Group et Morgan Stanley, publiée en début de l’année. En effet, les habitudes de mobilité changent complètement. La voiture devient plus intelligente et les risques s’en trouvent fortement réduits. Selon cette étude, 55% des consommateurs sont prêts à prendre une assurance en dehors des acteurs traditionnels. Jusqu’à 20% du marché se déplacerait vers les géants de la technologie (9%), les fabricants automobiles (4%) et les télécoms (7%).

En Suisse, la culture change à l’égard des nouvelles technologies. Les alliances entre assureurs et start-up sociétés de private equity se multiplient. Les processus sont automatisés et de nouveaux produits partent à la conquête du marché. Bâloise a obtenu le prix de l’innovation avec l’assurance en ligne de smartphones, tablettes et vélos, grâce à sa collaboration avec la start-up KASKO. Elle a également introduit une assurance de montres avec reconnaissance photo, grâce son accord avec la start-up Snapsure, et évalue le potentiel d’assurance des jeux vidéo. La Vaudoise investit également avec BlackFin, un partenaire à Paris (voir ci-joint).


Histoire de l'insuretech

2010 Friendsurance, créée à Berlin, est l’une des premières start-up, selon TechBullion, à avoir offert un service d’assurance de personne à personne (P2P).

2013 AXA est l’un des premiers géants de l’assurance à déclarer ses intentions de devenir une assurance numérique. Il dispose d’un lab très réputé dans la Silicon Valley.

2015 Google se lance sur le marché des comparateurs en ligne d’assureurs de véhicules à moteur, avant
de mettre un terme au projet un an
plus tard.

Septembre 2017 La première insuretech à entrer en bourse s’est faite à Hongkong. Il s’agit de ZhongAn Online Property & Casualty Insurance, qui a ainsi levé 1,5 milliard de francs. Elle a été fondée par de grands noms, dont Jack Ma, le patron d’Alibaba.