Technologie
L’internet des objets, l’intelligence artificielle ou la blockchain ne sont pas des outils réservés aux multinationales pour augmenter leur productivité. Ils peuvent aussi bénéficier aux PME suisses, comme l’a montré la conférence Forward de jeudi

Quel est le point commun entre une citerne à mazout, une place de parc, un fer à repasser et un conteneur? Réponse: ils peuvent tous être connectés à internet. Et pas par des géants technologiques de la Silicon Valley. Mais par des PME suisses romandes, qui ont réussi à inventer de nouveaux marchés, voire à se réinventer elles-mêmes, via la numérisation. Jeudi se tenait à l’EPFL la conférence Forward, organisée par Le Temps et PME Magazine, qui a réuni plus de 900 personnes. L’occasion, via une journée riche en conférences et en séminaires spécialisés, de faire prendre conscience aux responsables de PME de l’importance de ce phénomène.
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La numérisation est aujourd’hui un monde infini, riche en technologies en plein essor: l’intelligence artificielle, l’internet des objets, la blockchain ou encore la réalité virtuelle et augmentée. Les PME ont tout intérêt à en prendre conscience, «et ce serait une grossière erreur, pour une entreprise, de ne pas s’y intéresser, car la numérisation va toucher tout le monde», a averti Philippe Leuba, conseiller d’Etat et chef du Département de l’économie du canton de Vaud.
«Nous sommes à la pointe»
Cet ensemble de technologies peut améliorer sensiblement l’efficacité des PME. Et, pour leurs responsables, il suffit d’étudier les solutions proposées dans la région. «Le temps où nous nous rendions dans la Silicon Valley en baissant les yeux est terminé. En Suisse, nous sommes à la pointe dans plusieurs domaines, dont celui des objets connectés», affirme José Demetrio, cofondateur et directeur de Geosatis (Lausanne), spécialisée dans les bracelets connectés pour prisonniers.
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Des exemples? Prenons les places de parc. A Genève, la société IEM fabrique des parcmètres depuis trente ans. «Nous en avons vendu 30 000 en Europe. Ils étaient d’abord mécaniques, puis électroniques. L’apparition de l’internet des objets nous a contraints, mais aussi permis, de nous réinventer», souligne Philippe Menoud, directeur. La société a ainsi développé des petits capteurs, fixés au milieu de la place de parc, reliés à internet et permettant de surveiller en permanence son occupation.
Face à BMW et VW
Et ces capteurs changent tout. «Nous sommes capables de dire à une ville quel est le taux de paiement pour ses places. Nous lui permettons de fixer des tarifs dynamiques, comme cela a été testé à San Francisco. Le prochain défi, ce sera de s’adapter à l’arrivée des voitures autonomes», poursuit Philippe Menoud. Pour lui, la numérisation, qui a nécessité l’engagement de plusieurs data scientists, a bouleversé son modèle d’affaires, tout en permettant de faire fructifier son savoir-faire… et de conserver ses clients: les villes. IEM peut ainsi résister à plusieurs constructeurs automobiles, tels que VW et BMW, qui sont entrés sur son marché.
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Une autre illustration des bénéfices de la numérisation a été donnée par Sensile Technologies. La société, basée à Morges, a déjà équipé 60 000 citernes, dans 60 pays, de ses capteurs, donnant des informations en temps réel, notamment sur le niveau du carburant. «Nos clients évitent ainsi les ruptures de stock, surveillent leurs appareils en permanence et nous demandent même maintenant que nous les comparions, de manière anonyme, à leurs concurrents», sourit Cédric Morel, directeur de la société. Pour lui, il y a aujourd’hui un «alignement des planètes: la technologie des capteurs est mûre, les réseaux mobiles sont efficaces et les clients sont de plus en plus réceptifs». Sur un marché similaire, la société Kizy (Neuchâtel) vend des petits trackers, notamment utilisés pour pister des colis, et peut-être demain des conteneurs au niveau mondial.
Aussi des drones
La Suisse romande est si riche en start-up technologiques – le nouveau site Vaud.digital recense ainsi pas moins de 62 sociétés actives dans l’internet des objets – que les PME locales ont à leur disposition des ressources importantes pour leur numérisation. Jeudi, Jean-Christophe Zufferey, fondateur de la société SenseFly, basée à Cheseaux-sur-Lausanne, a ainsi parlé de ses drones. Destinés aux entreprises, ils permettent de cartographier précisément des carrières, des champs ou des barrages. «Pour les champs, cela permet aux agriculteurs de répandre de l’engrais de manière plus précise, exactement là où il le faut, pour réduire leurs dépenses et augmenter le rendement», a-t-il expliqué.
Les appareils, qui coûtent entre 10 000 et 20 000 francs selon les options et les services choisis, permettent ainsi à des agriculteurs de se numériser. Mais pas seulement: des exploitants suisses de barrages utilisent aussi ces drones pour inspecter leurs installations.
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A noter que plusieurs PME font aussi directement appel à l’EPFL pour se numériser, via des travaux de recherche menés par des étudiants durant un semestre, par exemple.
Convaincre la direction
Mais avant de parler technologie, déjà faut-il créer un consensus au sein de la direction. «Beaucoup de directeurs de PME sont conscients que la numérisation peut les aider, mais ils ne savent pas du tout par quoi commencer et doivent en plus convaincre l’ensemble du comité de direction de ses bienfaits», regrette Jean-Charles Neau, cofondateur de la société genevoise de conseil Iconyl.
Pour le spécialiste, il faut ensuite éviter de trop parler de technologie. «Nous n’allons pas les effrayer en évoquant la blockchain ou l’internet des objets, mais simplement montrer à ces responsables comment travailler plus efficacement avec les clients, fournisseurs et collaborateurs. Nous avons ainsi permis à un imprimeur de dématérialiser le dossier de fabrication de livres: il peut ainsi travailler plus vite avec des clients qui savent en permanence où en est le processus de production.»