Philippe Hebeisen, président de la direction du groupe Vaudoise, ne fait pas partie des patrons d’assurance qui croient que leur branche d’activité sera épargnée par les nouvelles technologies. Il multiplie les initiatives afin d’observer et d’utiliser les opportunités de l’«insuretech».

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Le Temps: La tarification individualisée signifie-t-elle la fin de l’assurance et de son esprit de solidarité?

Philippe Hebeisen: 
C’est très juste. Un point de friction doit être trouvé entre la loi des grands nombres et l’individualité. La législation européenne va plutôt à l’opposé, elle qui interdit la distinction de tarification entre l’homme et la femme. C’est l’inverse de la tendance de la technologie. Il est indispensable que les tendances technologiques soient réfléchies jusque dans leurs conséquences sociales et financières. La question éthique est indissociable de la transformation digitale.

– Beaucoup d’assureurs ne craignent guère une disruption, sous prétexte que chaque pays dispose de ses propres lois et d’une rentabilité trop basse pour attirer Amazon ou Google. Qu’en pensez-vous?

– Mon discours est inverse. Tous les assureurs ont un siècle d’existence. Méfions-nous des voix internes rassurantes! Les consultants présentent des scénarios catastrophe. Mais ils prêchent aussi pour leur paroisse. La vérité est vraisemblablement entre les deux. Les risques de disruption peuvent commencer par la distribution, mais le risque de disruption complète n’est pas absent. Les plateformes de crowdfunding d’assurance sont compliquées, mais théoriquement la preuve est faite qu’on n’a pas besoin d’un assureur pour assumer des risques dans une communauté.

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– Quel est l’intérêt de l’insurtech pour le groupe Vaudoise?

– Nous apprenons à évoluer, d’abord à travers un travail de veille. Nous coopérons avec un sélectionneur d’insurtech, en l’occurrence Blackfin à Paris, chez qui nous avons par ailleurs investi 15 millions de francs dans un fonds afin de faire nos premières expériences en termes d’investissement. Nous nous intéressons aux nouvelles plateformes de start-up, soit en termes d’investissements, soit en tant que fournisseurs de solutions novatrices. Nous avons maintenant créé un groupe digital qui représente de manière transversale toutes les entités de l’assurance et qui reçoit mensuellement les informations de Blackfin. En deux mois, il a déjà analysé 57 start-up. Nos experts prennent connaissance, analysent, filtrent, évaluent le coût d’une collaboration, font un préavis d’investissement.

Nous avons fait un premier investissement dans une plateforme de crowdfunding et disposons de trois demandes de collaboration avec des plateformes digitales. A leur création, les insurtechs veulent pour la plupart disrupter l’assurance, puis pivotent et recherchent des partenariats, à l’exception peut-être du secteur de la distribution, par exemple.

– Quelle sera l’étendue de la baisse des coûts grâce à l’insurtech?

Les estimations portent sur l’automobile et l’infléchissement possible des primes par diminution du risque d’accidents. Des études estiment que l’érosion ne commencera vraiment qu’en 2025.

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– Comment améliorer la productivité de l’assurance grâce à l’insurtech?

– La productivité peut augmenter à travers l’expérience client, la qualité du conseil et son confort d’utilisation, ainsi que la production d’assurance, c’est-à-dire dans la souscription, l’acceptation et la tarification des risques.

– Des exemples?

– Nous disposons d’un projet avec l’EPFL qui vise à intégrer de l’intelligence artificielle dans le règlement des sinistres de bagatelle (moins de 3000 francs d’indemnisation), lesquels représentent environ 80% du total des sinistres traités. Le potentiel de rationalisation est très fort en termes de productivité et de nombre de collaborateurs affectés. Ce projet a démarré il y a plus de 18 mois. Nous sommes capables d’apprendre à une machine à déterminer si elle est compétente pour traiter tel ou tel dossier, à proposer un montant d’indemnisation en fonction de ses données, à détecter une éventuelle fraude et enfin, si tout est en ordre, à opérer ce règlement. Le tout sans intervention humaine.

Dans la souscription d’assurances, nous pouvons tirer profit des données structurées dont nous disposons à travers le data mining afin de savoir à qui faire une offre. Demain, nous travaillerons avec des données non structurées, avec le deep learning. Nous progresserons aussi dans l’automatisation de la tarification dans la mesure où cette méthodologie déterminera le comportement à risque et une tarification individualisée. Il en résultera un gain de temps, d’individualisation et de tarification. Ces progrès doivent évidemment se faire dans le respect de la loi sur la protection des données.