On reconnaît un véritable ami à sa capacité à décevoir, disait Pierre Desproges. Eh bien après deux semaines passées avec le nouveau porte-étendard de Samsung, le Galaxy S20 Ultra, une chose est sûre: c’est un bon, très bon ami.

C’est peu dire qu’on attendait de pied ferme le cru 2020 des Galaxy S, composé des S20, S20+ et du luxueux S20 Ultra 5G prêté par Samsung et testé dans cet article. Après tout, les Galaxy S8, S9, et S10 étaient tous d’excellents smartphones. Cette année, le leader mondial coréen avait promis monts et merveilles: des capteurs photos à la pelle, un zoom 100x, une batterie titanesque de 5000 mAh, un écran immense avec capteurs d’empreintes digitales intégrés… Bref, ce devait être la gamme des superlatifs.

Les Galaxy S20 devaient être la gamme des superlatifs

Pour bien insister sur cette rupture, la nomenclature est directement passée des S10 aux S20. Un bond quantique également au niveau des tarifs: le modèle testé, disponible dès le 13 mars, coûte 1349 francs en version 128 Go, soit presque autant que deux bons smartphones. Certes, tous les raffinements promis sont bien présents dans le S20 Ultra. Mais le compte n’y est pas, comme si le tout se montrait inférieur à la somme des parties.

L’écran, un sans-faute

Le S20 Ultra n’est pas ultra que de nom: c’est un smartphone immense, avec un écran de 6,9 pouces de diagonale, encore plus grand que celui de l’iPhone 11 Pro Max (6,5''). Sans être totalement plat, il est bien moins incurvé que sur les modèles précédents. Tant mieux, cela évite les appuis intempestifs sur les bords, toujours juxtaposés à des bezels très fins, marque de fabrique des écrans Infinity de Samsung inaugurés avec le S8. L’écran est poinçonné d’un unique trou sur sa partie supérieure laissant passer le capteur photo avant. Sa fréquence de rafraîchissement peut doubler et monter ainsi à 120 hertz pour des animations fluides très confortables lors du défilement de menus ou de pages web.

Les couleurs sont toujours trop criardes par défaut, mais un réglage sur «naturel» leur rend justice. Bref comme habituellement chez Samsung, cet écran est magnifique, un sans-faute qu’on ne se lasse pas d’admirer.

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Cette élégance tranche toutefois avec l’aspect plus grossier de la face arrière, grise, recouverte de traces de doigts en quelques minutes, et surtout affublée d’un module photo aussi énorme que disgracieux. Elle évoque plus une radio militaire qu’un smartphone premium. Tel est le sacrifice consenti pour embarquer autant de capteurs photos, au nombre de cinq. Attardons-nous sur cette partie, puisque c’est sur elle que reposaient nos attentes déçues.

Boulimie de pixels

Le S20 Ultra est une débauche de mégapixels. On en dénombre 108 (!) sur le capteur principal, 48 sur le secondaire, 12 sur l’ultra grand angle, et un ridicule 40 sur la caméra avant, sans doute pour pouvoir zoomer dans les tréfonds de nos narines. Mais plus de pixels ne veut pas dire des photos plus belles. Le S20 Ultra offre bien entendu des clichés dignes des meilleurs smartphones, du moins de jour et avec un fort éclairage. Mais ses images prises en basse luminosité déçoivent si on les compare à celles de l’iPhone 11 ou du Pixel 4, la crème de 2019. Le rouge tire vers le magenta, la mise au point est discutable, et de nombreux détails sont perdus.

L’explication se trouve certainement dans la boulimie du capteur principal de 108 mégapixels: pour en embarquer autant, Samsung les a choisis petits, et les a serrés comme des sardines. Résultat: ils captent moins de lumière, forcément. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart des smartphones se limitent à 12, 14 voire 16 mégapixels. Pour pallier cette carence en basse luminosité, Samsung a eu recours à une technologie dite de «nona bining», c’est-à-dire combinant 9 pixels voisins en un plus gros pixel captant plus de lumière. En divisant les 108 mégapixels par 9, on obtient des photos de 12 mégapixels dans ces conditions. Le chiffre 108 tient donc en bonne partie du marketing, même si les pixels sont effectivement présents sur le capteur (en forte luminosité, les 108 mégapixels sont bien sollicités individuellement).

Le même reproche peut être fait au second capteur, celui en charge des zooms 5x (seul véritable zoom optique), 10x, 30x et enfin le fameux 100x (tous trois obtenus par une combinaison d’artifices matériels et logiciels). A 5x, les résultats sont excellents, sans perte. Du bruit numérique apparaît à 10x. Tout s’écroule dès que l’on pousse encore le grossissement, avec de nombreux artefacts qui polluent chaque détail. Il est tout bonnement impossible de prendre une photo acceptable en 100x, mode absolument gadget. Certes un tel zoom ou un capteur 108 mégapixels permettent notamment d’effectuer de forts recadrages. Mais à quoi bon si les détails qui ressortent sont complètement saccagés? C’est incompréhensible.

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Evoquons enfin le mode portrait. Là aussi, il déçoit. Le logiciel effectue de nombreuses retouches et traitements: lissage de peau, gommage d’ombres, adoucissement des contours, etc. Apparemment populaires en Asie, ces réglages semble-t-il effectués à la truelle, quand il ne s’agit pas d’une tronçonneuse, nous semblent bien trop agressifs. Pire, on ne peut pas tous les contrôler dans les options de l’appareil photo. Sans surprise, les portraits sont franchement décevants, un défaut là encore incompréhensible et rageant sur un tel appareil.

Le mode portrait ajoute des retouches à la truelle, quand il ne s’agit pas d’une tronçonneuse

Au niveau de la vidéo, le S20 Ultra c’est toujours une course à l’échalote avec une définition hors normes de 8K (7680 x 4320). Peu utile en pratique, si ce n’est pour extraire des photos (ou recadrer des vidéos de moindres dimensions, en 4K ou en 1080p) à partir du film. Gare à la mémoire et aux transferts de fichiers: une vidéo de cinq minutes (la longueur maximale autorisée) pèse environ 3 gigaoctets. Un domaine de plus où le smartphone excelle sur le papier; sans pour autant nous convaincre en conditions réelles.

Un mot enfin sur une autre expérience quelque peu ratée: le déverrouillage du téléphone; qu’il faut effectuer avec sa trombine ou, éventuellement, son doigt (le capteur est invisible et placé sous l’écran). Alors que la reconnaissance faciale se fait sans accroche sur le Pixel 4 ou l’iPhone, elle est poussive et capricieuse sur le S20 Ultra, si bien qu’on s’y reprend souvent à plusieurs fois. Un détail terriblement irritant, d’autant que le capteur d’empreintes est tout aussi capricieux.

«Samsungueries»

Pour la partie logicielle, c’est comme habituellement le système Android qui est présent, en version 10, couplé à la surcouche maison One UI 2. On trouve toujours quelques fonctions bien pensées telles que la barre de raccourcis Edge Panel cachée dans les bords incurvés, ou encore la possibilité de capturer une vidéo de ce qui se passe à l’écran. D’autres sont en revanche d’une utilité plus discutable et relèvent des «Samsungueries» que le fabricant semblait pourtant avoir abandonnées, cette vilaine manie d’imposer des fonctions inutiles et/ou doublons avec celles de Google, en moins pratique.

Exemple: l’imitation du widget Google Assistant, présent sur la page de gauche du bureau sans possibilité de le supprimer. Ou encore l’embarrassant Bixby, assistant vocal que personne n’utilise. Le S20 Ultra est compatible 5G, mais nous n’avons pas pu tester cette fonction non disponible depuis notre abonnement Swisscom.

Le S20 Ultra est donc un smartphone qui déçoit non parce qu’il est mauvais, mais parce qu’il n’est pas à la hauteur des espérances. Ce smartphone se résume à un empilement maladroit de ce qui se fait de mieux techniquement. Sans doute cette boulimie technologique n’est-elle pas encore totalement maîtrisée par Samsung. On recommandera donc d’attendre le S21 pour vérifier si l’expérience est plus convaincante. A moins qu’il ne s’agisse du S30?