C’est le 15 mars que Salt aura un nouveau directeur général, en la personne d’Andreas Schönenberger, qui avait auparavant dirigé Google en Suisse. Mais depuis pile une année, c’est l’équipe de NJJ, la holding de l’homme d’affaires français Xavier Niel, qui pilote l’opérateur de téléphonie mobile basé à Renens (VD). Cette équipe est entre autres incarnée par Olivier Rosenfeld, administrateur d'Iliad Free et bras droit de Xavier Niel. Chez Salt, un plan de départs volontaires a entraîné la démission de 67 employés en 2015 et le départ de plusieurs hauts cadres de l'opérateur. Olivier Rosenfeld détaille la réorganisation massive qu'a entreprise l’opérateur depuis une année.

Le Temps: Dans quel état avez-vous trouvé Orange, devenu Salt, lors de son rachat?

Olivier Rosenfeld: Si je fais un parallèle avec l’immobilier, Orange était une maison située dans un très bon quartier, la Suisse. Mais la maison avait été rénovée pour la revente, à la va-vite, avec des matériaux de mauvaise qualité. Or pendant ce temps, l'opérateur historique n’a cessé d’avancer, en lançant par exemple ses offres forfaitaires illimitées. Orange n’a pas lancé grand-chose. Prenez aussi l’informatique: Orange avait un système très cher qui fonctionnait mal, et qui avait été remplacé par un système un peu moins cher qui fonctionnait à peine mieux à ses débuts. Enfin, l’opérateur a changé de marque sans lancer de nouvelles offres: sans doute une occasion manquée.

- Vous avez donc eu des surprises à votre arrivée?

- Un peu. Mais c’est normal. Nous sommes des investisseurs industriels, nous aimons recréer des sociétés télécoms qui nous ressemblent, selon trois principes: respecter l’équilibre entre employés, clients et l’actionnaire, mais aussi proposer des offres simples et transparentes et enfin responsabiliser les employés vis-à-vis de leur société.

- Quelles erreurs ont été commises par l’ancienne direction?

- Orange a essayé de se transformer selon des méthodes qui ne convenaient pas au marché suisse, mais peut-être davantage au marché espagnol (ndlr: Johan Andsjö, ex directeur de Salt, avait auparavant dirigé un opérateur espagnol). Il y a eu par exemple de la sous-traitance à outrance. Or une société télécom se base sur son réseau et son informatique. En particulier, dans un pays où la notion de qualité est primordiale, il est impensable de ne pas les maîtriser de bout en bout. Nous corrigeons cela.

- Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé les employés de Salt?

- Nous avons senti qu’ils avaient été très frustrés de la façon dont l’opérateur avait été géré. La nouvelle gestion, plus directe, qui a une vision stratégique à long terme, se met en place, et cela libère des énergies et des talents. Auparavant, une grande partie des employés étaient chargés de contrôler ce que faisaient les sous-traitants. Quel gâchis! Maintenant, nous encourageons les collaborateurs à travailler, à produire et à créer quelque chose dont ils sont fiers. Regardez cette liste: Salt avait auparavant des contrats avec 41 agences de marketing, pour des campagnes, de la publicité, du sponsoring ou des événements. Nous avons réduit ce nombre à quatre. Lorsqu’il s’agit d’effectuer des traductions, nous avons les compétences en interne. Pour créer une affiche, nous avons aussi ces compétences. Et pour créer un slogan tel que «Tout en illimité à 49 francs», il n’y a pas besoin de solliciter cinq agences de publicité différentes.

- Y aura-t-il de nouveaux licenciements?

- Comme dans n’importe quelle société, il y a des départs et des arrivées. En ce qui concerne notre cœur de métier, il y a un vrai mouvement d’embauche, donc sur des métiers plus techniques: nous avons besoin de compétences pour développer notre réseau, pour l’informatique mais également pour l’ouverture de nouveaux magasins.

- Vous êtes critique par rapport aux débuts de Salt et à ses nouvelles offres. Mais vous étiez déjà aux commandes de la société.

- En ce qui concerne le rebranding, surtout d’un point de vue timing, nous avions peu de flexibilité. Orange devait changer de nom, c’était une contrainte au moment de l’acquisition. Nous n’avons pas choisi le nom de Salt, même s’il nous convient très bien. Nous avons racheté la société le 23 février 2015, or les espaces publicitaires et la campagne marketing avaient déjà été réservés, vantant ces nouveaux abonnements payables de manière annuelle. Nous aurions sans doute préféré le lancement de la nouvelle marque plus tard. Mais nous n’avons pas vraiment eu ce choix. 

- Lors du lancement de la nouvelle marque, l’abonnement annuel Swiss Pass a été lancé. Pourtant, vous avez lancé de nouveaux tarifs quelques mois plus tard. Pourquoi?

- Rendez-vous compte, seule une poignée de clients ont opté pour le Swiss Pass, facturé une fois par année. C’était tellement à côté des attentes des clients. Un vrai cas d’école marketing. La preuve que 41 agences de marketing ne servent à rien, elles ont éloigné la direction de la société de la réalité et des attentes des clients. Les nouvelles offres de Salt ont eu simplement pour but de remettre Salt dans le marché face à ses concurrents.

- Avec vos nouveaux tarifs, vous êtes 20 à 30% moins chers que Swisscom. Etes-vous satisfaits de votre positionnement?

- Totalement. Nous sommes par ailleurs dans un marché où la portabilité (ndlr: les changements d’opérateur avec le même numéro) est très lente et où l’opérateur historique est très aimé, ce qui est une exception en Europe. L’opérateur historique fait du bon travail, mais il n’y a pas une si grande différence de qualité de réseau entre lui et Salt. Le réseau de Salt est par exemple mieux noté que celui de T-Mobile, filiale de Deutsche Telekom, en Allemagne. Mais il faudra du temps pour que le marché perçoive nos progrès. Nous devons travailler sur cette perception et nous forger une réputation de sérieux, de qualité, de service en boutiques et après-vente, d’offres claires et simples qui correspondent au marché.

- Justement, l’image de Salt n’est semble-t-il pas très bonne. Sur votre page Facebook, les commentaires des clients sont très durs…

- Nous allons regarder cela. Mais encore une fois, il faudra du temps pour améliorer notre image. Les différents départements d’Orange ne se parlaient pas et fonctionnaient en silos – nous avons cassé ces barrières et encourageons également le transfert de compétences et l’échange de bonnes pratiques entre les différentes sociétés de notre groupe – cela se ressentira de manière positive pour les clients chaque jour un peu plus.

- Vos soucis de facturation sont-ils réglés?

- Aujourd’hui, les factures sont correctes dans leur écrasante majorité. Il y a peut-être parfois des soucis liés au roaming ou à des offres mal adaptées au besoin. Nous sommes très très loin des taux d’erreurs constatés en 2014.

- Allez-vous baisser davantage vos tarifs?

- Non. Les salaires entre la Suisse et la France sont incomparables et les coûts pour déployer un réseau en Suisse et en assurer la qualité sont sensiblement plus élevés. Les tarifs de Salt sont bien positionnés et transparents.

- Salt ne communique plus aucun chiffre au grand public. Lors des dernières publications, l’opérateur perdait des clients.

- L’opérateur communiquait auparavant comme s’il était une société cotée. Or ce n’était bien sûr pas le cas. Et désormais, nous gagnons à nouveau des clients. Mais je ne peux pas vous communiquer de chiffres avant la publication des résultats en avril.

- Etes-vous satisfait de la rentabilité de Salt?

- Oui, mais Salt peut devenir plus rentable. Nous avons repris la société il y a un an seulement et nous ne sommes pas des gens qui agissons « avec violence ». Nous apprenons à connaître les équipes, nous changeons petit à petit les modes de fonctionnement. Il faudra attendre fin 2016, voire début 2017, pour en récolter les fruits.

- Salt va-t-il rester basé à Renens?

- C’est évident.

- L’opérateur pourrait-il entrer sur le marché du fixe?

- Le fixe nous attire. C'était le métier de base de Free, en France. Nous voyons aussi que l’opérateur historique gagne des parts de marché face aux câblo-opérateurs. Le fixe est donc intéressant, mais il faudrait une offre innovante pour y entrer. Nous ne l’avons pour l’instant pas.

- Quels liens entretient Xavier Niel avec Salt?

- Ce sont des liens forts, puisqu’il vient tous les mois à Renens deux jours au moins pour rencontrer la direction et les employés. Il accorde une grande attention à Salt.