Pour Samantha Anderson, «il ne devrait pas y avoir des amoncellements de plastique au fond des océans»
Portrait
Elle est pressée. Pas forcément de tempérament, mais plutôt mue par l’urgence environnementale. Pour réduire la pollution, la chimiste canadienne a cofondé il y a quelques mois en Valais la start-up DePoly

Le décor: une cuisine canadienne dans une demeure de la ville de Winnipeg, capitale de la province du Manitoba. Le terrain de jeu d’une fillette élancée aux longs cheveux bruns. La gamine s’y livre à toutes sortes d’expériences, mélangeant des épices et des aliments pour créer une mixture, congelant de l’eau pour découvrir la réaction chimique qui s’ensuit.
La scène se déroule au crépuscule du XXe siècle. Alors que certaines de ses amies aspirent peut-être à suivre les traces de leur compatriote Céline Dion, qui vient d’accéder à la gloire internationale, Samantha Anderson est déjà irrésistiblement attirée par les atomes, les molécules et les protons: «J’ai toujours été intéressée par la science. Je voulais comprendre comment la technologie marche, pourquoi ceci flotte, alors que cela coule. Mes parents devaient m’acheter des livres qui expliquent par exemple comment les aimants fonctionnent.»
Une vingtaine d’années plus tard et après avoir franchi un océan, la jeune femme crée à Sion aux côtés de Christopher Ireland et de Bardiya Valizadeh la start-up DePoly. Tout naturellement, c’est elle qui prend la tête de l’entreprise: «Je me suis occupée des aspects légaux, du business plan, des contacts avec des sociétés. Alors, ça s’est passé comme ça, commente-t-elle simplement, avant d’ajouter: mais les décisions importantes se prennent toujours à trois.»
Surprise: un «bonjour!»
Bien que consciente de l’enjeu que représente la place des femmes dans la science et la technologie, elle n’en fait pas son combat. En tout cas, pas pour l’instant. C’est que son énergie est pointée sur une autre cause: la lutte contre la pollution plastique. Le nom DePoly, pour «dépolymérisation», est d’ailleurs explicite, et la création de la société paraît représenter tout autant un moyen d’atteindre un objectif écologique qu’une fin en soi: «Notre credo, résume la jeune entrepreneure, c’est qu’il ne devrait pas y avoir des amoncellements de plastique de la surface du Texas dans les océans. Nous voulons contribuer à réduire cette quantité pour que les générations futures vivent sur une planète plus propre.»
J’ai toujours été intéressée par la science. Je voulais comprendre comment la technologie marche, pourquoi ceci flotte, alors que cela coule
Il y a cinq ans, lorsque la chimiste canadienne arrive en Suisse, elle ne se destinait donc pas forcément à venir étoffer les rangs de la nouvelle vague suisse de l’entrepreneuriat. Alors âgée de 27 ans, la jeune femme suit son compagnon, physicien, engagé à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Une école qui lui tend les bras pour y faire son doctorat en sciences des matériaux.
De ses premiers pas sur sol vaudois, elle garde surtout le souvenir d’une grande surprise en pénétrant dans des magasins où un «bonjour!» l’attend. «Une habitude que l’on n’a pas du tout au Canada.» Cette spécificité helvétique l’amène à utiliser les quelques mots de français appris durant son enfance, une période durant laquelle elle reconnaît volontiers avoir fait preuve d’un certain dilettantisme linguistique: «Je n’ai jamais pris mes cours de français au sérieux.» Un aveu dans lequel certains verront une confirmation de son esprit résolument scientifique.
Sa vocation se précise en tout cas dès 2017, lorsque les images de montagnes de détritus plastiques déversés sur les plages des Caraïbes ou d’Asie envahissent les écrans et que la controverse autour des microplastiques enfle. Alors, avec ses futurs associés, elle empoigne le problème, décide de chercher un nouveau procédé pour améliorer le recyclage du plastique et s’affranchir du pétrole.
Il faudra neuf mois aux trois scientifiques, qui exploitent l’alchimie de leurs champs de compétences respectifs, pour poser les fondements de leur innovation – une solution aujourd’hui brevetée – avant de vérifier son potentiel de déploiement à large échelle.
En février 2020, l’entreprise voit le jour sur le site sédunois de l’EPFL. Tout juste ralenti par la situation sanitaire, le trio s’attelle aujourd’hui à industrialiser sa technique. La signature de DePoly, c’est une méthode moins énergivore, parce que réalisée à température ambiante et sans pression, pour isoler l’acide téréphtalique et le monoéthylène glycol. Cette technique promet de faciliter le recyclage du PET, mais aussi d’autres types de plastique.
Dans le radar des experts
Quelques mois ont suffi pour que DePoly éveille l’intérêt des limiers de l’innovation. En octobre, la jeune pousse est arrivée deuxième – première start-up suisse – de l’édition 2020 du MassChallenge Switzerland, une compétition qui passe au crible les jeunes sociétés technologiques européennes.
La société a également fait irruption dans le top 100 des meilleures start-up du pays, même si elle ne pointe pour l’heure qu’à la 98e place. Un classement qui rappelle le chemin qu’il reste à parcourir pour que la société matérialise ses ambitions.
Celle que son entourage qualifie parfois de «butée» n’aura pas assez de sa pugnacité pour y parvenir. Car il faut aller vite pour occuper le terrain et faire rimer, à terme, durabilité et rentabilité. Avant cela, il y aura la première fabrique de dépolymérisation à l’horizon 2023. Une installation qui devrait naître en Suisse, car le couple semble avoir définitivement adopté ce pays. Une rampe de lancement pour conquérir d’autres espaces et contribuer à réduire l’empreinte carbonique de l’humanité.
Profil
1988 Naissance à Winnipeg, au Canada.
2015 Master en chimie de l’Université Queen’s à Kingston (Ontario).
2015 Arrivée en Suisse.
2019 Doctorat en science des matériaux de l’EPFL.
2020 Création de la société DePoly.
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