La tentation était sans doute beaucoup trop forte. Les autorités de Singapour ont menti à leurs citoyens. Le système de traçage des contacts ne devait être destiné qu’à la seule lutte contre le virus. Or cette plateforme informatique peut aussi être utilisée par la police. A plusieurs reprises, les organisations de défense des droits humains avaient averti des risques de dérives liés à ces systèmes numériques, à des fins de surveillance. Singapour vient d’en faire la démonstration.

Cette révélation n’est pas le fruit d’une enquête externe ou d’investigations de la part de spécialistes de la technologie. C’est le ministre de l’Intérieur lui-même qui l’a admis lundi au parlement. Répondant à une question d’un député l’interrogeant sur une possible utilisation du système de traçage TraceTogether par la police, Desmond Tan a déclaré que «les forces de police de Singapour ont l’autorisation d’obtenir toutes les données, y compris celles de TraceTogether, pour des enquêtes criminelles». Et pourtant, les autorités avaient toujours affirmé que les données de ce système n’allaient être utilisées que pour la lutte contre le virus.

«Surveillance renforcée»

Le ministre des Affaires étrangères a tenté de rassurer mardi. Vivian Balakrishnan a affirmé qu’à sa connaissance les données de TraceTogether n’avaient été utilisées qu’une seule fois par la police, dans le cadre d’une enquête sur un meurtre. Et «une fois que l’épidémie sera terminée et qu’il n’y aura plus besoin de traçage des contacts, nous clôturerons volontiers le programme TraceTogether». En théorie, les données sont stockées de manière chiffrée et détruites après vingt-cinq jours.

Mais, pour l’heure, la polémique est vive. Ces informations «révèlent comment le gouvernement a exploité secrètement la pandémie pour renforcer sa surveillance et son contrôle sur la population», a ainsi affirmé à l’AFP Phil Robertson, directeur pour l’Asie de l’ONG Human Rights Watch.

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Record mondial

Il n’est pas certain que cette polémique fasse baisser l’utilisation de TraceTogether. Aujourd’hui, 78% des 5,7 millions d’habitants de Singapour utilisent ce système, un record au niveau mondial. A titre de comparaison, le taux est d’environ 20% en Suisse pour l’app SwissCovid – précisons que son utilisation est anonyme et ses données inutilisables par les forces de police.

Si Singapour a obtenu un taux aussi élevé, c’est en partie grâce à la discipline de nombreux citoyens. Mais c’est surtout parce que Singapour a décidé de n’autoriser l’accès à des endroits publics (administrations, centres commerciaux, lieux de culte…), en ce début 2021, qu’aux personnes utilisant un système de traçage des contacts. Cela peut être soit l’application TraceTogether pour smartphone, soit des petits jetons physiques munis d’une puce Bluetooth – plus de 1,75 million de ces jetons ont été distribués à la population. Les deux systèmes, qui permettent d’identifier leurs utilisateurs, détectent les autres téléphones ou jetons se trouvant à moins de deux mètres durant trente minutes.

Israël tenté

Le 20 octobre, alors que le taux d’utilisation du système de traçage n’était «que» de 45%, les autorités avaient fixé l’objectif d’atteindre 70% fin 2020 pour passer à la phase trois du déconfinement. Pour l’heure, ces mesures semblent avoir porté leurs fruits. Singapour ne compte que 58 000 infections au virus depuis le début de la pandémie et 29 morts.

A noter que ces derniers mois le gouvernement israélien a voulu laisser à plusieurs reprises la police et les services secrets accéder aux données du système national de traçage des contacts national. Mais la justice s’y était opposée.