Les baby-boomers se souviennent des soirées passées devant leur transistor à écouter les mythiques émissions de théâtre à la radio, victimes dans les années 1980 de l’essor des séries télévisées.

Egéries de cette période en Suisse romande, le détective Roland Durtal et le commissaire Gallois poseraient sans doute un regard intéressé sur l’actuel retour en grâce du son. Ils ne sont pas les seuls. La popularité des podcasts audio a logiquement ouvert l’appétit des plateformes de streaming musical.

En quête de rentabilité

Il y a un an, Spotify, leader de la branche, a lancé l’offensive en faisant part de son intention de consacrer quelque 500 millions de dollars à des acquisitions dans ce domaine.

Passage à l’acte. La société suédoise, cotée au Nasdaq depuis avril 2018, a fait ses emplettes outre-Atlantique. Gimlet, Anchor, Parcast… des noms inconnus en Europe, des références aux Etats-Unis. Dernier achat en date annoncé mercredi, en marge de la publication des résultats trimestriels de la compagnie: l’acquisition du site The Ringer. Celle-ci permet à l’ancienne start-up de proposer désormais des contenus allant du polar au sport, en passant par la culture pop et l’entrepreneuriat.

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Objectif de la stratégie: sortir enfin la société des chiffres rouges. Car depuis sa création en 2006 à Stockholm, Spotify n’a jamais dégagé de bénéfices. Le graal semblait à portée de main en cours d’année dernière, mais les résultats ont replongé au dernier trimestre, avec une perte opérationnelle de 77 millions de dollars, due à des facteurs extraordinaires, selon les dirigeants de la société.

Malgré les assauts de la concurrence emmenée par Apple Music, Spotify ne cesse en revanche d’agrandir sa communauté de fidèles. Celle-ci s’est élargie d’un tiers en un an. Elle comptait 271 millions d’adeptes en fin d’année, dont 124 millions d’abonnés payants.

Mais Spotify reste un colosse aux pieds d’argile. Un colosse dont près des trois quarts des revenus sont engloutis par les producteurs de ses contenus. Un colosse qui génère des rentrées publicitaires insuffisantes: 12% de son chiffre d’affaires de 1,85 milliard de dollars au dernier trimestre 2019. L’engouement croissant rencontré par les podcasts est supposé remédier à ces faiblesses.

Surfer sur la popularité des podcasts

Depuis quelques années, le marché des podcasts affiche en effet une solide croissance, tiré notamment par les contenus audio. Selon un rapport rédigé par PwC et IAB, ce seul segment a progressé de 7% aux Etats-Unis en 2018; une personne sur deux âgée de plus de 12 ans déclarait en consommer.


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Logiquement, les recettes publicitaires suivent: les auteurs du rapport les évaluaient – la même année – à 479 millions de dollars sur le marché américain, en hausse de 53% sur un an. Ils relevaient surtout que le public réagissait plutôt bien à une intrusion publicitaire, même s’il payait déjà un abonnement de base pour obtenir ces contenus.

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En accroissant son activité dans ce secteur, Spotify espère donc faire coup double: augmenter sa part d’abonnés payants et obtenir davantage de retombées financières de la part de l’ensemble de sa clientèle. Il a d’ailleurs annoncé en début d’année avoir mis au point une technologie permettant l’introduction de publicités ciblées dans ses podcasts.

Condamné à devenir le Netflix de l’audio

Cette stratégie paraît rassurer les investisseurs, puisque le titre a progressé de 6 dollars ces trois derniers mois (et atteint environ 153 dollars). Elle semble laisser les analystes plus sceptiques, eux qui jugent l’action surévaluée. Et on les comprend. Car ce que la mue de Spotify nous dit, c’est que la société n’a toujours pas trouvé un modèle d’affaires pérenne.

Contrairement à Netflix, Daniel Ek, cofondateur et directeur général de Spotify, n’a pas réussi à se débarrasser de ses coûteux intermédiaires que représentent les majors. Et les tentatives de production de contenus maison de la plateforme ne se sont pas montrées très concluantes.

Ce détour par le marché des podcasts va peut-être lui offrir un bol d’oxygène. Il ne lui offrira en revanche certainement pas la force de frappe nécessaire pour donner l’estocade à ses encombrants partenaires et régner en monarque sur l’industrie de la musique.