Innovation
Dans la région, une centaine de sociétés développent des solutions innovantes pour répondre aux défis de l’agroalimentaire. Des multinationales, Nestlé en tête, veulent servir de colonne vertébrale à cet écosystème régional

Des sociétés romandes se sont lancées dans la culture d’insectes ou d’algues, deux sources importantes de protéines moins nuisibles pour l’environnement que l’élevage bovin. Ces pistes suffiront-elles à anticiper la crise de la protéine attendue à l’horizon 2050?
«Il n’y a pas encore une grande demande des consommateurs pour les insectes. Ceux-ci devraient surtout être utilisés pour la nutrition animale», estime Benjamin Rohrer, responsable de l’innovation chez Swiss Food Research, une association à but non lucratif qui encourage et facilite les relations entre les différents acteurs du domaine, dans le but d’innover. En matière d’algues, la société vaudoise Alver propose par exemple des produits contenant une poudre d’algues riches en protéines. Cette start-up a réussi à faire pousser une microalgue dans l’obscurité, ce qui lui évite de développer sa couleur verte et son goût aux saveurs marines.
Malgré les initiatives en cours, les experts s’alarment. Comment nourrir de façon saine et équilibrée les 10 milliards d’individus que devrait compter la planète d’ici à trente ans? La crise de la protéine constitue un réel enjeu, avec comme toile de fond des défis liés à la production, sans gaspillage alimentaire, d’eau ou d’énergie.
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Réduire le gaspillage alimentaire
En Suisse, près d’une centaine de jeunes pousses tentent d’apporter leur solution. Elles sont actives dans ce qu’on appelle la «foodtech». Elles innovent en matière de conception, de production ou de distribution alimentaire. «Le nombre d’initiatives et d’incubateurs dédiés à ce secteur explose. La Suisse jouit aujourd’hui d’une très bonne réputation dans l’agroalimentaire, notamment en Asie. Il est important qu’elle maintienne cette place au sommet face à la concurrence internationale», constate Benjamin Rohrer.
«Nous sommes en discussions avec des start-up pour trouver une façon de travailler ensemble. Nous voulons mieux valoriser cet écosystème en maximisant les interactions entre les différents acteurs, aussi bien les écoles d’ingénieurs que les start-up, note Isabelle Bureau-Franz, responsable de la recherche chez Nestlé. De son côté, la multinationale élabore aussi des alternatives aux protéines animales. Dans sa cuisine expérimentale, au sein de son centre de recherche de Vers-chez-les-Blanc, des cuisiniers mijotent, par exemple, des tacos végétariens.
«Nous recherchons des alternatives à la viande ou au lait de vache, tout en offrant une équivalence nutritionnelle en matière de protéines mais aussi en fer ou en vitamine B12, précise Isabelle Bureau-Franz. La texture des produits constitue aussi un défi que nous cherchons à relever.»
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Lutter contre les déchets
Ces poids lourds, comme Nestlé, Bühler, Givaudan ou Firmenich, participent parfois au financement d’initiatives, comme l’accélérateur à start-up MassChallenge de Renens qui a conçu un programme spécialement dédié aux jeunes entreprises en lien avec la foodtech. Il s’agit du réseau EIT Food Accelerator Network qui dispose d’une antenne en Allemagne, une autre en Israël et une troisième à Lausanne, comptant dix-sept start-up.
Parmi elles, AgroSustain. Cette jeune pousse, fondée sur les recherches de la biologiste de l’Université de Lausanne Olga Dubey, a découvert une molécule d’origine végétale luttant contre les champignons qui attaquent les cultures maraîchères et les vignes. AgroSustain produit cette molécule d’origine naturelle dans le but de réduire le gaspillage alimentaire. «On compte chaque année 60 milliards de fruits et légumes perdus dus aux moisissures après récolte. Dans la culture des fraises, le pourcentage de déchets peut s’élever à 50% de la production, ajoute Jean-Pascal Aribot, cofondateur d’AgroSustain. En réduisant les déchets alimentaires, nous espérons avoir un impact sur les émissions de gaz à effet de serre.»
En cours de certification de son premier produit bio-inspiré, la start-up collabore avec l’Agroscope de Changins pour la recherche et le développement. Elle prévoit de commercialiser son produit d’ici à douze ou vingt-quatre mois et espère séduire la grande distribution.
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Extraction de prébiotiques
Etablie à Ecublens, Embion a développé une nouvelle technologie qui permet de valoriser la biomasse issue de l’agroalimentaire. «Dans un champ de maïs, seuls les épis sont récoltés. Le reste de la plante est généralement brûlé. On ne sait plus que faire de tous ces déchets. Pourquoi ne pas avoir une approche plus efficiente?» s’interroge Georgios Savoglidis, cofondateur de la start-up lausannoise. Son équipe travaille déjà avec des industriels pour valoriser leurs déchets et en extraire des prébiotiques pour les réintégrer dans le cycle alimentaire. «Ces prébiotiques, naturellement présents dans certains aliments, favorisent l’activité des bactéries intestinales bénéfiques à notre santé et notre système immunitaire», précise Georgios Savoglidis.
Site dédié à l’agrotech
A Fribourg l’agroalimentaire est aussi un axe prioritaire. Le canton a lancé un appel international (Agri&Co Challenge) de projets innovants dans l’alimentation, l’agriculture et la biomasse. L’ancien site d’Elanco à Saint-Aubin, racheté par l’Etat de Fribourg, accueillera dès le printemps prochain des entreprises actives dans l’agro-food. Dix d’entre elles pourront bénéficier des installations gratuitement et pendant deux ans. L’opération est financée par le canton et des partenaires privés, dont Nestlé, Cremo, Fenaco et Micarna. «Les multinationales cherchent aussi des innovations de rupture à l’externe», rappelle Benjamin Rohrer, du Swiss Food Research.
La foodtech ne se limite pas aux protéines alternatives ou aux solutions pour réduire le gaspillage alimentaire. Ce secteur englobe aussi toutes sortes de solutions pour améliorer la qualité et le rendement des productions agricoles avec des drones, des capteurs et des logiciels.
Drones et caméras miniatures
Le site de l’Agropôle à Molondin, dans le Nord vaudois, veut permettre à des jeunes pousses d’élaborer des prototypes à l’échelle micro-industrielle. La société CombaGroup s’est lancée, par exemple, dans la production de salades hors sol selon un procédé appelé l’aéroponie. Des capteurs placés dans la serre permettent d’adapter idéalement l’irrigation tout comme l’éclairage. Ils signalent s’il y a trop ou trop peu d’azote, de potassium ou de phosphore dans l’engrais.
A Yverdon-les-Bains, Ecorobotix a conçu des robots qui ont pour mission de désherber des champs entiers de manière totalement autonome alors que les drones de la start-up valaisanne AgroFly permettent de pulvériser de manière ciblée les vignes et les cultures. Enfin la société vaudoise Gamaya utilise une caméra miniature hyperspectrale embarquée sur un drone pour obtenir des informations sur l’état de santé des exploitations agricoles, de leur besoin en engrais, en eau, ou détecte d’éventuelles maladies.