Réformes
La Suisse comme valeur refuge des données? La fin des différences de protection sociale entre salariés et indépendants? Après le Conseil fédéral, c’est au tour de la Fondation CH2048 de partir à la recherche d’une stratégie numérique pour la Suisse, lors d’un congrès vendredi à Lucerne

Après le rapport descriptif du Conseil fédéral le 11 janvier, l’avenir numérique de la Suisse sera l’objet central du congrès organisé ce vendredi par la Fondation CH2048. «La manifestation contient une dimension globale à des réflexions (et des manifestations) restées trop souvent centrées sur les acteurs actifs orientés uniquement sur la Suisse», observe Christoph Koellreuter, directeur de programme et vice-président de CH2048. C’est pourquoi le congrès intègre des entrepreneurs globaux comme Manuel Grenacher, fondateur et président de Mila et de Coresystems, des sociétés internet créées par un Suisse enseignant dans une HES, mais qui sont basées à San Francisco…
Stagnation des banques, envol du digital
Une comparaison suffit à souligner l’importance du débat sur le numérique et la nécessité d’une approche globale, selon l’ancien directeur de BAK Basel. En vingt ans, la finance n’a pas créé de valeur. En effet entre 1998 et 2016, la valeur boursière d’UBS et de Credit Suisse a baissé. Par contre celle des leaders de la pharma, Roche et Novartis, s’est accrue de 50%. Mais celle d’Apple et de Microsoft a triplé. Il est temps que la Suisse opère sa transformation numérique.
A lire aussi: L’idée d’un impôt sur les transferts sociaux fait son chemin
Depuis 2012, la valeur des leaders numériques a dépassé celle des multinationales des sciences de la vie. Apple vaut trois fois plus que Roche et Novartis après s’être accrue d’un quart en quatre ans. Google a doublé, Amazon triplé, Facebook quintuplé. Et les leaders chinois Alibaba et Tencent ont littéralement explosé en bourse. Qui connaît le Chinois Tencent? En fait, le leader du commerce en ligne de Shenzhen vaut davantage que Roche.
Portrait de la fondation CH2048
La Fondation CH2048 regroupe des personnalités économiques, scientifiques et politiques qui défendent une Suisse compétitive au plan global mais aussi responsable et ouverte. Au sein du conseil, on trouve aussi bien Christoph Koellreuter, vice-président, que Marcel Tanner, président de l’Académie des sciences naturelles, Domenico Scala, président de BaselArea.swiss et de Basilea Pharmaceuticals (et ex-directeur de la FIFA et de Nobel Biocare). La présidence est assumée par une Romande, Gisèle Girgis-Musy (ex-Migros). Les organes sont dotés de trois personnalités politiques: Martin Landolt (PBD), Fulvio Pelli (PLR) et Hans-Peter Wessels (PS). A Lucerne, l’organisation est parvenue à attirer des «digital shapers», tels que Patrick Warnking, directeur de Google en Suisse, Roger Wüthrich, directeur du développement numérique de Swisscom, et Patrizia Pesenti, membre de Digitalswitzerland (et de Ringier).
A lire aussi: L’étonnante journée de travail des «digital natives»
«Il manque à la Suisse un projet entrepreneurial numérique aux ambitions globales», observe Christoph Koellreuter. Le secteur pharmaceutique bâlois a beaucoup profité dans son expansion de la création du Biozentrum, à la fin des années 1960. Aujourd’hui, elle commence à se positionner dans l’analyse des données afin de calibrer les thérapies. Mais les géants du Net sont actifs. Google s’intéresse de plus en plus à la santé, fort de sa puissance d’analyse des données.
La Suisse peut se profiler dans la protection des données
La situation de la Suisse est compliquée par les lenteurs politiques et les nécessités de la démocratie directe. Le soutien de l’initiative doit être partagé par la majorité des citoyens. «Le Conseil fédéral se limite à un état de la situation. Nous devons préciser les options et les moyens. La fondation propose trois champs de développement principaux», analyse Christoph Koellreuter.
A lire aussi: Pour l’enseignement du numérique à l’école
Le premier domaine de développement pourrait être celui de la protection des données. «La Suisse a une carte importante ajoutée en tant que pays refuge susceptible de créer la confiance des acteurs digitaux», selon le conseiller de CH2048. Dans le contexte d’une géopolitique incertaine, des craintes de voir les données circulant aux Etats-Unis être lues par la NSA, et des réglementations restrictives de l’UE, la Suisse peut offrir le juste équilibre. Elle peut offrir la protection des données privées (santé, finance) et une utilisation ouverte des données publiques en vertu d’une loi en la matière. Les réflexions sur la mise en œuvre de cet objectif ne se situent toutefois qu’au stade initial.
A lire aussi: Google en ses murs, à Zurich
Le deuxième champ de développement s’appuie sur l’élaboration de conditions-cadres favorables au Big Data et le désir d’investir dans les sciences numériques dans les universités. C’est une thèse chère à Domenico Scala et Ruedi Noser (PLR). La Suisse peut y exceller en favorisant l’immigration de talents et en adaptant sa fiscalité (suppression de l’impôt sur la fortune et compensation à travers une taxe sur les gains en capitaux et l’imposition des transferts sociaux).
Disruption du marché du travail
Le troisième thème concerne le marché du travail. L’institut Polynomics publiera le 22 juin à Lausanne, lors de la Journée des employeurs, une méta-analyse sur les effets de la numérisation sur l’emploi, y compris sur son impact en Suisse. Le congrès se comprend comme le début d’un processus et d’une réflexion des «digital shapers», pour reprendre les termes de Christoph Koellreuter, sur les pistes de développement possible. L’idée est d’aboutir à un projet susceptible de créer un consensus dans notre pays.