Innovation
Early Metrics est la première agence de notation d’entreprises en démarrage et de PME innovantes. La société créée à Paris assure que plus de 80% des jeunes pousses ayant obtenu un bon score lors de ses évaluations ont levé des fonds. Interview du cofondateur de l'agence, Antoine Baschiera

Early Metrics est aux start-up ce que Standard & Poor’s est aux Etats. Une agence de notation. Mais qui ne s’intéresse qu’aux entreprises innovantes. Sa mission consiste à repérer et évaluer des sociétés à forte croissance pour en extraire une «shopping list» destinée aux investisseurs. Lancée en 2014 à Paris, Early Metrics dispose de filiales à Londres et à Tel-Aviv. La société, qui emploie pour l’heure 26 collaborateurs, cherche aujourd’hui à se développer en Suisse. Agissant comme un baromètre des transformations numériques en Europe, Early Metrics fonde son analyse sur une cinquantaine de critères, principalement non financiers. Son expertise est gratuite pour les jeunes pousses. Les bailleurs de fonds doivent en revanche payer pour se procurer son catalogue. Le tableau de chasse d’Early Metrics cumule à ce jour quelque 1000 pépites, dont les radiographies sont commercialisées auprès d’une centaine de business angels, de venture capitalist, de banques, de family office et autres multinationales. Rencontre à Genève avec Antoine Baschiera, cofondateur de la start-up qui note les autres start-up.
Le Temps: A quoi sert Early Metrics?
Antoine Baschiera: Il y a quelques années en Europe, entre 2 et 10% seulement des étudiants en master disaient vouloir se lancer dans l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, ce taux avoisine 30%. Il doit même être supérieur à la sortie des écoles d’ingénieurs en Suisse. En résumé, le nombre de start-up ne cesse d’augmenter. Face à cette jungle grandissante, les investisseurs ne savent plus où orienter leurs capitaux. Nous agissons comme un tiers de confiance, afin de guider les jeunes pousses et leurs bailleurs de fonds.
– Quels sont vos critères de notation?
– Chaque évaluation exige entre quinze et vingt heures de travail, dont deux à trois sous forme d’entretiens avec les fondateurs de la société. Nos paramètres prennent en considération la motivation et la qualité des dirigeants, leur réseau et leur adéquation, ainsi que leur implication comme les sacrifices financiers et le temps qu’ils consacrent à leur projet. Mais aussi la complémentarité des équipes, car il est ardu de gravir l’Everest seul. D’autres variables tiennent compte des mérites de l’innovation, de la taille du marché, de la concurrence directe et indirecte, des barrières à l’entrée, des contraintes réglementaires, etc. Sans oublier certains éléments de traction, tels la capacité à financer ses premiers développements ou la mise en œuvre de son modèle d’affaires, ce critère étant davantage déterminant que la qualité d’une idée en soi. C’est donc l’ensemble de ces facteurs qui permet d’aboutir à une note globale. Toutefois, notre analyse indépendante n’a pas de valeur légale. Elle se base sur les données communiquées par les fondateurs de la start-up, lesquels signent un contrat comportant une clause les obligeant à dire la vérité sur leur société.
– Qui sont vos clients?
– Pour des raisons de confidentialité, je ne peux pas tous les citer. Mais notre portefeuille comprend de noms comme Visa, HSBC, Procter & Gamble, Johnson & Johnson, Santander Inno Ventures, Airbus, Orange, Sanofi, Crédit Lyonnais, Deloitte ou encore Accenture. Nous travaillons aussi bien avec des assureurs que d’importantes multinationales. Ainsi que la plupart de grandes banques européennes.
– Comment identifiez-vous les pépites à évaluer?
– Certaines postulent directement sur notre site. D’autres nous sont signalées par nos clients ou notre réseau. Toutefois, nous ne considérons que des sociétés déjà lancées et qui cherchent à grandir, soit des structures générant au maximum 5 millions d’euros de chiffre d’affaires. Early Metrics note une centaine de nouvelles start-up chaque mois.
– En Suisse aussi?
– Nous avons déjà diagnostiqué plusieurs dizaines de pépites helvétiques, dont Biowatch, Gait Up ou encore Predictive Layer. Nous travaillons déjà beaucoup avec la Suisse. A travers principalement deux partenariats clés: la Fondation genevoise pour l’innovation technologique, ainsi que l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Nous collaborons également avec des family offices d’origine française et orientale. Nous avons aussi déjà noté quelques jeunes pousses du Campus Biotech à Genève, mais notre partenariat avec cette structure n’est pas encore formalisé.
– En quoi vos évaluations sont-elles utiles pour les start-up?
– Nous fournissons gratuitement un label, sur lequel elles peuvent s’appuyer pour lever des fonds. La note maximale que nous attribuons est de 100 points. Mais à partir de 75 points, on peut déjà considérer qu’il s’agit d’une pépite à haut potentiel. A ce jour, plus de 80% des sociétés qui ont obtenu un score rassurant sont parvenues à se financer. Pour celles qui ont été mal notées, notre processus d’évaluation leur permet d’identifier leurs points faibles, dans l’idée de les corriger. Cela étant, vu l’évolution parfois fulgurante de ces sociétés, une photo prise en octobre 2016 ne sera plus du tout la même en février 2017. Il faut donc, à la demande des start-up ou en cas d’intérêt réel comme des levées de fonds successives, réévaluer tous les six mois environ.
– Comment qualifieriez-vous le biotope helvétique?
– L’écosystème suisse, déjà profondément structuré, se distingue principalement par sa forte densité et la qualité remarquable de ses composants. En particulier dans le secteur des cleantechs [ndlr: au sens large, soit pas uniquement les avancées en matière d’énergies propres, mais également les villes intelligentes, les nouvelles formes de mobilité, etc.] et des sciences de la vie. La grande majorité des sociétés en démarrage que nous avons évalué, se hissent dans le top 15 de notre catalogue. Par ailleurs, nous observons une concentration très importante d’investisseurs potentiels entre Genève et Zurich. Notre défi sur ce marché consiste à nous imposer comme un acteur local. Car des entreprises comme Novartis ou Nestlé cherchent aujourd’hui à intégrer les start-up dans leur stratégie d’innovation, via une dynamique de sous-traitance.
– Les investisseurs suisses ne sont pourtant pas réputés friands de jeunes pousses.
– En effet, la contrepartie financière ou commerciale [ndlr: contrat de fournisseur] comporte certaines lacunes. Le financement d’amorçage, soit des montants jusqu’à un million de francs par société, ne pose pas de problème. Idem pour les capitaux supérieurs à trois ou quatre millions de francs, terrain de jeu notamment pour les banques traditionnelles. En revanche, lorsqu’il s’agit de lever des fonds intermédiaires, les choses se compliquent. Il y a clairement un manque de venture capitalist. Le résultat est que les start-up suisses finissent par délocaliser avant d’atteindre la maturité propice à intéresser les investisseurs plus classiques. En Suisse, l’état des pertes dans certains secteurs tutoie les 70%. Le phénomène touche davantage les sociétés dont le modèle d’affaires vise le grand public. Celles qui ciblent une clientèle d’entreprises sont moins sujettes à ce type d’aléas.
– A votre avis, pourquoi la fintech helvétique est-elle encore crépusculaire, par rapport à l’intensité observée à Londres?
- En théorie, la Suisse a tous les ingrédients pour devenir un centre de numérisation des métiers de la finance extrêmement performant. Mais l’aversion au risque freine l’innovation. Je prédis que cette barrière culturelle finira par tomber. Et que la réaction se fera, via notamment l’incubateur Fusion.
– Early Metrics est aussi une start-up. Envisagez-vous de lever des fonds?
- Pour l’heure, nos relais de croissance sont assurés, uniquement à travers nos revenus propres. Nous n’avons donc pas besoin d’investissements externes. Du moins pas à court terme.
– Quelle est votre entreprise en démarrage favorite?
– La société genevoise Predictive Layer, qui travaille sur les données de masse notamment avec Cisco et d’autres géants. Mais si je devais investir, je le ferai auprès d’une entreprise active dans les objets connectés. Je ne parle pas ici des montres qui captent vos fonctions vitales. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le segment le plus porteur concerne les applications industrielles, soit les usines intelligentes dotées de capteurs permettant de prévoir les pannes des machines. Je parie aussi sur un brillant avenir des sociétés spécialisées dans les données de masse. Plus particulièrement, celles qui proposent une exploitation grand public. Aujourd’hui, les outils sur le marché s’adressent essentiellement aux experts. Mais demain, il existera un logiciel utilisable par Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
– Miseriez-vous sur Uber?
– Cette société dépense aujourd’hui plus qu’elle ne gagne. Elle s’est soustraite à une logique de base, que l’on appelle la rentabilité. Certains parlent de bulle. Moi, je préfère le concept de course à l’armement, soit des investissements à perte ayant pour objectif notamment de liquider ses éventuels concurrents. Mais la croissance infinie est un concept trompeur. Uber finira par être rattrapé par la réalité, comme cela s’est passé avec Twitter. La cohérence économique, qui implique de travailler sur ses coûts afin d’assurer sa pérennité, l’emporte toujours.
Profil
1991 Naissance, le 27 avril, à Versailles.
2001 Déménagement familial en Italie, où son père, qui travaille pour LVMH, est muté.
2008 Retour à Paris, pour suivre un cursus universitaire en biologie. Ses études le mèneront ensuite en Espagne, puis en Irlande.
2011 Obtention d’un master d’ingénieur agronome de la faculté AgroParisTech.
2013 Après un passage chez l’Oréal, il cofonde Early Metrics avec Sébastien Paillet. Les deux jeunes entrepreneurs se sont rencontrés chez PwC.
2016 Il s’expatrie à Londres, pour piloter sa filiale ouverte un an plus tôt afin d’accompagner la croissance de sa start-up.