Technologie
Le projet européen de suivi du virus par smartphone, auquel participe notamment l’EPFL, sera bientôt opérationnel. La Suisse pourrait l’adopter, de même que la France et l’Allemagne. D’autres projets similaires sont lancés. Avec la question centrale de la protection des données

Ce n’est sans doute plus qu’une question de jours. D’ici peu, il sera possible d’utiliser son téléphone pour savoir si l’on a été en contact avec un porteur du coronavirus. De nombreux projets sont en cours pour utiliser efficacement les smartphones dans ce but, notamment aux Etats-Unis, en France, en Allemagne et en Suisse. L’EPFL est en effet au cœur d’un vaste projet de recherche, baptisé Pan-European Privacy-Preserving Proximity Tracing (PEPP-PT), sur lequel collaborent 130 partenaires de huit pays. Ces dernières heures, plusieurs gouvernements européens ont clairement indiqué leur intention d’utiliser ainsi les téléphones.
Comment fonctionnera une telle application? Créée par l’EPFL et disponible en ligne, une bande dessinée en explique bien le principe. En voici le résumé. Prenons Alice et Bob. Tous deux ont téléchargé l’application, qui utilise Bluetooth, une technologie de transmission de données sans fil dans un périmètre restreint. Leurs smartphones envoient très régulièrement un code unique et éphémère aux autres téléphones autour. Si Alice et Bob restent cinq minutes proches l’un de l’autre, leurs mobiles vont enregistrer ces codes, de manière totalement anonyme. Quelques jours plus tard, Alice présente des symptômes du virus et son test est positif. Elle communique à l’hôpital son historique de «discussion» via ces codes uniques. Le téléphone de Bob communique régulièrement avec les hôpitaux. Et ainsi, il reçoit une alerte l’informant qu’il a été proche d’une personne malade. Il doit ensuite se mettre en quarantaine.
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Aucune donnée GPS
Aucune donnée personnelle n’est échangée, aucune donnée GPS n’est transmise. «L’EPFL a contribué surtout à l’architecture logicielle qui garantit une protection élevée de la sphère privée. Cette solution décentralisée permet de casser les chaînes de contagion et de protéger les données personnelles», assure Jean-Pierre Hubaux, responsable du Laboratoire pour la sécurité des données de l’EPFL. Le professeur ne se prononce pas sur une date de disponibilité, car «il reste des aspects techniques et organisationnels à régler». Or «les développements avancent bien, mais il y a différents aspects techniques à prendre en compte. Il y a encore des tests d’intégration à mener», affirme-t-il.
Ces tests progressent vite. En Allemagne, un essai du même système PEPP-PT a été mené dans une caserne militaire de Berlin. Et la chancelière Angela Merkel s’est déclarée favorable à ce type d’application, qui pourrait être introduite ce mois encore. «Fin avril, cela me semble réaliste. Tout le monde la veut dès que possible. Mais il faut qu’elle soit d’abord testée et certifiée en matière de sécurité», déclarait vendredi à l’AFP le chercheur allemand Chris Boos, au cœur de ce projet et par ailleurs membre d’un conseil numérique du gouvernement allemand.
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Convaincre la population
Si le respect de la vie privée semble garanti par l’architecture proposée par l’EPFL, encore faudra-t-il convaincre la population de télécharger l’application. «Une étude de l’Université d’Oxford indique que 60% de la population devrait utiliser cette application s’il n’y a pas d’autre mesure pour lutter contre la propagation du coronavirus. Moins il y a de personnes qui utiliseront l’application, plus il y aura besoin de mesures strictes», avertit Chris Boos.
La Suisse est intéressée par ce type d’outil, comme l’affirmait jeudi soir le conseiller fédéral Alain Berset sur les ondes de la RTS. Jean-Pierre Hubaux pense que la Suisse utilisera un tel système, «mais cela suppose un déploiement soigneusement orchestré, en étroite collaboration avec les autorités de santé en particulier». Le professeur précise, comme le déclarait Alain Berset, qu’en Suisse «l’utilisation de l’application ne se fera que sur une base volontaire. L’efficacité dépend grandement du taux d’adoption. Et il faut évidemment que Bluetooth soit activé.»
Volonté en France
Cela fait donc beaucoup de conditions à remplir – sans parler du nombre de personnes qui ne savent tout simplement pas télécharger une application.
D’autres projets sont en lice au niveau mondial, notamment en France, avec le projet StopCovid. «Personne n’aura accès à la liste des personnes contaminées, et il sera impossible de savoir qui a contaminé qui», a promis le ministre de la Santé, Olivier Véran. Certains projets sont totalement indépendants, d’autres se basent sur le système PEPP-PT pour en créer des variantes. Avec l’avantage que les applications ayant cette base seront compatibles. Aux Etats-Unis, le MIT de Boston développe ainsi une application inspirée du service «Trouver mon téléphone» d’Apple.