Thierry Duvanel: «La start-up est un projet à durée limitée»
Interview
Directeur de MassChallenge Switzerland, Thierry Duvanel veut offrir de l’innovation sur un plateau aux grandes entreprises. Le programme a récompensé mardi ses finalistes

Cette année, MassChallenge Switzerland a reçu plus de 1000 dossiers de candidatures, issues du monde entier. Ce sont 68 start-up qui ont été retenues pour bénéficier, de juin à octobre, d’encadrement et de mentorat à Renens (VD). Mardi soir, les noms des finalistes ont été révélés: 12 jeunes pousses auront l’occasion de rester jusqu’en 2019 dans l’incubateur romand, dont huit d’entre elles se partagent la somme de 1 million de francs.
Directeur de MassChallenge Switzerland, Thierry Duvanel a fondé deux start-up avant de se consacrer aux jeunes entreprises. Il donne sa vision de l’entrepreneuriat et de la nécessité de créer un écosystème technologique en Suisse romande.
Le Temps: Le choix des finalistes de l’édition 2018 s’est fait selon quels critères?
Thierry Duvanel: Il y a d’abord une première sélection sur dossier. Puis, les entreprises qui passent le premier tour font des présentations très normées devant un jury. Les projets retenus doivent avoir un impact sur la société et leur industrie. Nous favorisons des start-up qui disent ce qu’elles veulent faire avec leur technologie plutôt que celles qui présentent uniquement leur technologie.
Des grandes entreprises financent MassChallenge Switzerland, comme Nestlé, Givaudan, Barry Callebaut, Philip Morris, BASF ou Bühler pour n’en citer que quelques-unes. Pourquoi soutiennent-elles MassChallenge?
Nous leur offrons de l’innovation sur un plateau. Il y a d’un côté des start-up qui ont des idées mais qui ne sont pas vraiment structurées pour faire croître leur modèle d’affaires. D’un autre côté, il y a des grandes sociétés qui ne sont pas faites pour innover mais qui sont parfaitement organisées pour faire croître des modèles d’affaires.
Si nous créons un écosystème qui permet aux grandes entreprises de faire de la veille technologique, elles viendront et resteront dans la région. Ce microcosme est indispensable. Il permet aux multinationales de trouver des idées et de comprendre l’évolution du marché. Aux Etats-Unis, il y a trois programmes MassChallenge. A Boston, les grands groupes ont ainsi un œil sur les innovations et peuvent éventuellement acquérir ce qui se développe près de chez elles.
L’idée n’est donc pas d’aider les jeunes entreprises à voler de leurs propres ailes?
MassChallenge est né il y a dix ans à Boston, sur les cendres de la dernière crise financière. John Harthorne a voulu créer un accélérateur de start-up pour reconstruire la société sur l’entrepreneuriat plutôt que sur la spéculation financière. La création de MassChallenge, dont on compte neuf programmes à travers le monde, a permis de créer 1500 sociétés. Une quinzaine d’entre elles génèrent un total de 2 milliards de francs de chiffre d’affaires.
Et les autres, que deviennent-elles?
Environ 15 à 20% des projets soutenus cessent leurs activités ou changent d’orientation. Seul un faible pourcentage connaîtra un important succès. La plupart des start-up se feront racheter par un plus grand. L’année passée, par exemple, la start-up TasteHit figurait parmi les finalistes de MassChallenge Switzerland. Elle a conçu un système d’intelligence artificielle pour générer des recommandations de produits et accroître le panier d’achat dans le commerce électronique. Elle a été acquise par Selligent en Belgique.
La destinée d’une start-up ne doit pas être celle d’un Google ou d’un Facebook. Le développement logique d’une jeune société passe très souvent par une acquisition. De mon point de vue, la start-up est un projet à durée limitée qui permet de prouver la viabilité économique d’une innovation. Quand la preuve existe, cela suscite l’intérêt d’un grand acheteur ou d’un investisseur.
Vous avez lancé un programme particulier en lien avec l’entrepreneuriat et l’innovation dans le secteur alimentaire. Pouvez-vous nous en dire plus?
Nous développons un nouveau programme dédié à la foodtech, en collaboration avec deux autres sites du réseau EIT Food Accelerator Network, l’un à Munich en Allemagne et l’autre à Haïfa en Israël. A Lausanne, 17 start-up, hébergées à Renens, appartiennent à ce réseau de 40 entreprises, toutes en lien avec le secteur alimentaire.
On parle beaucoup de crise des protéines de demain. Comment nourrir de façon saine les 10 milliards d’individus que devrait compter notre planète à l’horizon 2050? Quelles seront les sources de protéines du futur? Comment apporter des protéines en quantité suffisante, sans gaspillage d’eau ou d’énergie, et sans nuire à la planète? Les start-up, actives sur trois sites différents, explorent différentes pistes pour répondre à ces questions.
Cet intérêt pour l’agroalimentaire est-il lié aux investisseurs qui soutiennent MassChallenge?
Non, c’est un vrai problème de société. Aujourd’hui, nous produisons deux fois trop de viande par rapport à la consommation réelle. Avec le gaspillage alimentaire ou les durées de péremption raccourcies, nous avons un système qui fait qu’un bœuf sur deux finit à la poubelle. Sans compter que la production d’un kilo de viande nécessite 4000 litres d’eau et 12 m² de terre arable. Il y a de gros progrès à faire en matière d’agroalimentaire.
Les lauréats 2018
Scailyte a obtenu 100 000 francs. Cette start-up, issue de l’EPFZ, a conçu une technologie qui, grâce à l’intelligence artificielle, permet d’interpréter des données cellulaires. Son objectif est de découvrir de nouveaux biomarqueurs pour la détection précoce de maladies. Les start-up EBA-Med, Prodibi et Velox ont chacune reçu 80 000 francs. EBA Med propose un nouveau traitement contre les arythmies cardiaques, Prodibi développe une solution d’affichage d’images simple mais puissante alors que Velox Therapeutics développe un anticoagulant qui n’augmente pas le risque de saignement. L'association Mobsya (chargée de la création et de la commercialisation des robots éducatifs Thymio) et les sociétés Biospectal (surveillance en continu de la pression artérielle), FreshStrips (solutions d’emballage intelligentes) et Resistell (test de résistance aux antibiotiques) ont toutes reçu 40 000 francs.