Le traducteur DeepL part à la conquête des entreprises suisses
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La version professionnelle du service de traduction automatique est lancée ce jeudi en Suisse. Une arrivée qui se traduit par un intérêt mesuré

«Nos réseaux neuronaux surpassent largement ceux des autres systèmes de traduction automatique.» La société allemande DeepL n’a aucun doute sur l’efficacité de son service de traduction automatique dopé à l’intelligence artificielle. Lancé en 2017, dans une version en ligne gratuite, son outil possède une version payante qui n'était jusqu'ici pas disponible en Suisse. Elle est disponible depuis ce jeudi. Ce lancement tardif s’explique par la petite structure de l’entreprise, qui compte environ 50 employés, et des raisons fiscales. «En dehors de l’Union européenne, le commerce international devient plus compliqué», indique Lee Turner Kodak, responsable communication de la société basée à Cologne.
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La technologie peut s’intégrer aux logiciels utilisés par des traducteurs professionnels. C’est l’un des atouts de la version payante. Autre avantage: la possibilité de traiter des documents tout en préservant leur mise en page, comme les polices de caractères ou les images. Un gain de temps potentiel pour les entreprises. Aujourd’hui, il faut compter entre 6 euros par mois pour la version de base et 40 euros pour la version avancée. La tarification dépend également de la taille de l’entreprise abonnée. Pour la Suisse, DeepL assure que les prix n’augmenteront pas.
«Des milliers de demandes»
La société espère ainsi séduire les multinationales et organisations internationales du pays. Cela répondra-t-il à un réel besoin? Lee Turner Kodak affiche une grande assurance: «La Suisse est un marché extrêmement important, vu le nombre d’entreprises internationales et d’ONG, et bien sûr parce que la Suisse est un pays multilingue lui-même. Nous avons déjà reçu des milliers de demandes de sociétés et de traducteurs professionnels suisses.» Le représentant ne donne aucune précision sur sa clientèle «pour des raisons de confidentialité».
En 2018, La Poste a évalué différents systèmes de traduction automatique, dont DeepL, en partenariat avec l’Université de Genève. Mais l’adoption de l’outil par le service linguistique de l’entreprise n’est pas assurée. La solution technique définitive qu'elle choisira – qui sera communiquée d’ici à la fin de 2019 – «a été choisie à partir de différents critères majeurs, parmi lesquels la qualité linguistique, l’intégration dans l’infrastructure technique ainsi que les coûts de licence. Dans le cadre de ce projet, une attention particulière a également été portée à la sécurité des données et des informations», détaille Erich Goetschi, porte-parole de La Poste.
La protection des données personnelles ou confidentielles, c’est le talon d’Achille de DeepL. «Vos textes sont effacés immédiatement après réception de la traduction», peut-on lire sur le site. Insuffisant pour les documents sensibles, estime Pierrette Bouillon, doyenne de la Faculté de traduction et d’interprétation de l’Unige, qui aide plusieurs sociétés suisses à intégrer de tels outils: «Les données sortent de l’entreprise abonnée au service. On ne peut pas pleinement garantir la sécurité des informations. Le stockage sur un serveur local est préférable.»
Un traducteur humain «irremplaçable»
Si l’abonnement suscite un intérêt mesuré, la puissance de la version gratuite semble répondre aux besoins de plusieurs organisations romandes. C’est le cas d’Amnesty International, qui l’utilise parfois pour des traductions rapides de courriers ou de brefs communiqués. L’ONG possède par ailleurs un centre de ressources linguistiques basé à Madrid, dont la mission est de traduire les rapports, les communiqués ainsi que des documents internes. Les traducteurs pourraient évaluer l’intérêt de l’outil payant et en faire «une nouvelle corde à leur arc», imagine Nadia Boehlen, porte-parole de la section suisse. «Le traducteur professionnel est irremplaçable, même si l’automatisation d’une partie de ces tâches peut lui permettre de gagner du temps», nuance-t-elle.
Un avis partagé par Pierrette Rey, responsable de la communication pour la Suisse romande du WWF: «Il est nécessaire de mesurer la fiabilité du traducteur automatique pour les documents importants. Dans certains cas, il faut retravailler le texte pour en préserver le sens.» C’est l’autre faiblesse de l’outil allemand. Il peine à détecter les subtilités de la langue, ce qui nécessite un important nettoyage. «La traduction est d’une grande fluidité et ne contient pas forcément d’erreurs grammaticales. Mais il faut avoir des compétences bilingues pour repérer les problèmes de fidélité au texte original», précise Pierrette Bouillon. Or, certains logiciels permettent d’obtenir une traduction plus fine en s’adaptant à la terminologie du secteur d’activité de l’entreprise. DeepL Pro devra batailler pour s’imposer en Suisse.