Pour ses 20 ans, Le Temps met l’accent sur sept causes. Après le journalisme, notre thème du mois porte sur l’égalité hommes-femmes. Ces prochaines semaines, nous allons explorer les voies à emprunter, nous inspirer de modèles en vigueur à l’étranger, déconstruire les mythes et chercher les éventuelles réponses technologiques à cette question.

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Certaines années, l’égalité est atteinte sur un plan au moins. En 2014, le Global Entrepreneurship Monitor faisait état d’une proportion égale d’entreprises créées par des hommes et des femmes en Suisse. C’était le point culminant d’une dizaine d’années de hausse des créations de sociétés par les femmes qui s’est ensuite tassée.

Or, selon le dernier rapport sur la Suisse de la même source publié en 2017, le ratio est tombé à 0,48, ce qui signifie qu’il y a environ deux entrepreneurs pour une entrepreneuse. Les pays qui affichent la parité sont rares – une petite poignée en Asie du Sud-Est – mais la moyenne des régions comparées est de 0,63.

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Masse critique

Surtout, la proportion s’effondre dès que l’on parle de sciences et de technologie, des bastions presque exclusivement masculins. Les étudiantes ne manquent pourtant pas à l’appel: l’EPFL, qui suit cette évolution de près, n’est plus très loin de son objectif fixé à 35% de doctorantes (31% en 2016). Elles se font en revanche rares lorsqu’il s’agit de postes d’enseignement. Et encore plus parmi les entrepreneurs.

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Corine Zuber, coordinatrice de l’unité Start-Up de l’EPFL, y voit, entre autres, un «problème de confiance en soi, davantage qu’une aversion au risque. Le domaine étant réputé très masculin, les femmes se posent encore plus de questions et hésitent à se lancer.» Or, poursuit-elle «quand elles s’y mettent, elles le font aussi bien que les hommes». Et de citer quelques succès, issus de l’école ou se trouvant sur le campus, comme AC Immune, Lunaphore ou Sun Bioscience. On pourrait en citer quelques autres, comme WeRobotics.

Taïssa Thierry Chaves, fondatrice de Women in Digital Switzerland, note qu’il «manque encore une masse critique de start-up créées par des femmes pour donner confiance aux autres». Car il existe un autre obstacle, l’accès au financement. «On a tendance à faire affaire avec les gens qui nous ressemblent. Les investisseurs, un monde largement masculin, ont ainsi tendance à financer des projets lancés par des hommes, même sans s’en rendre compte», poursuit-elle.

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Miettes des investisseurs

Une tendance qui se révèle dans les statistiques. Le dernier rapport du Swiss Venture Capital montre que 45% des start-up qui ont reçu des financements (175 au total) comptaient au moins une femme dans le top management ou dans le conseil d’administration. Ces sociétés ont reçu 76% des fonds. Or seules 10 start-up comptaient une directrice générale et ces dernières n’ont reçu que 2% des investissements. D’où la création de plusieurs fonds consacrés uniquement aux start-upeuses, comme Ellevest, ou à des accélérateurs qui leur sont réservés, comme celui de Lish, à Zurich. Mais aussi de prix pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin dans les sciences.

C’est le cas du Prix Isabelle Musy de l’entrepreneuse en sciences et technologies, qui sera remis le 2 mai. Délivré une fois tous les deux ans par l’EPFL, mais financé à hauteur de 50 000 francs par une donatrice, il comptait pour cette édition un journaliste du Temps parmi le jury. Cette récompense a attiré 13 candidates, qui devaient venir d’une haute école de Suisse latine et y être domiciliée.

Exemples pour toutes les femmes

La lauréate doit montrer des «qualités d’entrepreneuse» et un «dynamisme» qui «puissent servir d’exemples à toutes les femmes». Parmi les dossiers retenus, figurait un projet d’impression 3D de béton pour la construction, un autre spécialisé dans la reconstruction de tissus mous et un troisième dans les antifongiques naturels.

C’est la troisième fois que le prix sera décerné. Pour Isabelle Musy, c’est l’occasion de «donner un coup de pouce». Sans exigences démesurées sur l’issue du projet. Elle-même a toujours été intéressée par la science et les expériences, les essais, sans poursuivre d’études dans cette voie. Dans sa vie professionnelle, elle a souvent constaté que des jeunes filles brillantes occupaient des postes sans responsabilité, tandis que des garçons, aux résultats plutôt moyens, faisaient carrière.

«Trop de filles partent en perdant d’avance et les femmes cheffes d’entreprises sont rares. J’ai voulu ainsi lutter contre la différenciation des rôles, qui, d’ailleurs, commence à changer», explique Isabelle Musy.