Qui dit assistants numériques dit Amazon, Google ou Apple. Dans leur ombre, IBM avance très vite avec son système d’intelligence artificielle baptisé Watson. Il s’était fait un nom en 2011 déjà en triomphant d’un candidat humain au jeu télévisé Jeopardy! diffusé aux Etats-Unis. Depuis, Watson a été utilisé dans la médecine, notamment en oncologie. Fin juin, Watson a participé, toujours à la télévision américaine, à deux débats de haut vol, avec des humains, portant l’un sur la subvention de l’exploration spatiale et l’autre sur la télémédecine.

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Désormais, IBM veut développer Watson Assistant, un système d’intelligence artificielle destiné à aider les humains dans les chambres d’hôpital, dans les hôtels ou encore dans les voitures. A la différence du système Alexa d’Amazon, par exemple, Watson Assistant s’adresse aux entreprises qui vont ensuite le proposer aux consommateurs. Gabi Zodik, directeur, responsable technologique et du développement de Watson Assistant Solutions, explique depuis son laboratoire de Haïfa, en Israël, les projets d’IBM pour ce nouveau service.

Le Temps: Watson est un nouveau venu sur le marché encombré des assistants numériques. Comment comptez-vous percer?

Gabi Zodik: Watson est le service le plus avancé qui est notamment capable de protéger les données personnelles et qui est personnalisé et proactif: il est capable de tenir des conversations, d’assister un humain, de reconnaître des images… Nous voulons l’installer dans des chambres d’hôtel, des voitures, dans les maisons, partout… Mais aussi au sein d’entreprises pour augmenter leur productivité. Notre but est de rendre Watson accessible tout au long de la journée, afin d’améliorer la qualité de notre vie.

Vous imaginez donc un assistant numérique qui nous suit du réveil au coucher?

Oui, c’est véritablement notre vision. Un assistant virtuel, parfois invisible parce que installé dans une voiture ou une chambre d’hôtel, parfois visible dans votre smartphone. Watson sait où vous êtes, détecte votre environnement, sait quelle est votre voiture, vous avertit que le moteur a un problème. Watson vous suggère de partir dix minutes plus tôt le matin, parce qu’il pleut ou que vous devez faire le plein d’essence sur le trajet. Watson vous accompagne chez vous pour régler votre musique ou votre chauffage. Il crée la même ambiance que chez vous lorsque vous entrez dans une chambre d’hôtel. Le but de cet assistant est de vous suivre, de vous connaître, de vous aider et de vous faire des suggestions. Il ne vous quitte pas. Sauf si vous le décidez, bien entendu.

Pour qu’un tel assistant nous accompagne toute la journée, il doit être parfait. Au moindre bug, le consommateur risque de s’en détourner…

Oui, il ne doit faire aucune faute, ou presque. Il doit reconnaître les différents accents, vous reconnaître dans un environnement bruyant… Et pour qu’il soit adopté, il faut que Watson apporte des solutions plus simplement que si vous touchiez l’écran de votre smartphone. Et il faut que ces solutions soient plus utiles. Le défi est donc immense mais nous le relevons. Et il ne doit jamais y avoir d’accident – comme le système d’Amazon qui a envoyé récemment par erreur un message personnel à un contact d’un couple… Cela ne doit pas arriver. Car la confiance des consommateurs est un élément absolument essentiel.

Comment comptez-vous vous différencier des services de Google ou d’Amazon?

Notre vision est différente, car nous vendons Watson Assistant sous marque blanche (white label) aux entreprises, ce qui leur permet de préserver leur marque et de garder privées les données de leurs clients. Nous développons un assistant «objectif», différent de celui d’Amazon, qui se focalise plutôt sur la vente en ligne avec son assistant numérique. Notre solution se rapproche davantage de celle de Google avec cependant un accent plus marqué sur les expériences personnalisées, avec en plus des capacités proactives.

Quels nouveaux services envisagez-vous de lancer?

Le plus important est de rester en alerte, car tout est possible court terme. La technologie va si vite. Qui aurait pensé que Google serait capable, via son service Duplex présenté au début de l’été, de lancer des appels téléphoniques automatiques pour organiser un rendez-vous chez un coiffeur? Chez IBM, nous ne pensons pas seulement à des usages commerciaux. On peut imaginer qu’un assistant numérique détecte, si vous êtes une personne âgée, un changement de comportement et alerte les services de secours. Ce ne sera pas à proprement parler un appareil médical, mais un système d’alerte que vous aurez sur vous en permanence. Watson pourrait aussi percevoir si le conducteur d’une voiture est trop fatigué. Les possibilités de faciliter nos vies sont infinies. Et nous commençons aussi à développer Watson pour qu’il fonctionne sans connexion à internet.

Jusqu’à raconter des histoires à nos enfants à notre place?

J’ai aussi vu cette application… Je pense que ce n’est pas une bonne chose. A mon avis, les assistants numériques doivent nous faciliter la vie et nous permettre de passer plus de temps avec ceux que l’on aime – justement nos enfants et notre famille. Et pas passer du temps à notre place avec nos enfants… Mais c’est un avis personnel.

Ne craignez-vous pas de créer deux classes de personnes? Ceux qui peuvent s’offrir les services d’un assistant numérique et ceux qui n’en ont pas les moyens?

Je pense qu’il ne faut pas exagérer ce risque. Les assistants numériques ne seront pas si chers que cela à utiliser. Ce sera un peu comme les téléphones mobiles, qui en quelques années sont devenus accessibles à presque tout un chacun. Les assistants numériques ne seront pas des services de luxe, ils sont destinés à être utilisés par le plus grand nombre.

Ces assistants risquent de devenir de plus en plus avides de données…

Oui, sans aucun doute. Mais si IBM utilise des données pour entraîner ses systèmes, elles demeurent ensuite propriété de nos clients entreprises. Plus globalement, je pense que l’entrée en vigueur, en Europe, du Règlement général sur la protection des données (RGPD) est une bonne chose, qui fixe des garde-fous clairs et un niveau de transparence à respecter.

Si les consommateurs américains achètent des assistants personnels par millions, les Européens semblent nettement moins intéressés.

C’est vrai pour le moment. Les Européens sont beaucoup plus sensibles au respect de la vie privée. Et nous constatons, que ce soit dans le secteur du commerce de détail ou de l’automobile, que des entreprises veulent créer elles-mêmes leur propre assistant privé. Cela permettra de gérer les données en interne mais cela laissera la possibilité à ces assistants, qui pourront être basés sur Watson, de dialoguer avec ceux d’Amazon ou de Google. On observe même, en Europe, des consortiums d’entreprises développant ensemble de nouveaux assistants numériques. L’Europe avance.