Un petit bouledogue bariolé trône à côté du bureau de son «maître» dans les locaux du siège de PowerData. L’entreprise a choisi la zone d’activités économiques de Tolochenaz, au-dessus de Morges pour y implanter ses bureaux.

Tranchant avec le décor feutré des lieux, dont le principal atout est une splendide vue sur le lac Léman et les Alpes, le faux toutou paraît bien inoffensif. Tout comme son propriétaire qui a tout du gendre idéal.

Grand, la quarantaine grisonnante, Dan Mamane se dresse devant nous, en chair et en os, au lendemain de la parution d’un article dans le Blick le qualifiant de fantôme. C’est vrai que le web est plutôt avare en renseignements sur le personnage.

«Je ne pensais pas que je susciterais un tel intérêt.» Le nouveau propriétaire de Conforama Suisse est le premier surpris des sollicitations dont il fait l’objet depuis que son identité a filtré. Celle-ci a été révélée la semaine dernière par l’agence de presse AWP, quelques jours après l’officialisation de la transaction dont le montant n’a pas été rendu public.

Le groupe sud-africain Steinhoff cherchait à se défaire des magasins d’ameublement depuis de nombreux mois. Il a décidé de scinder la marque, portant son choix sur le dossier de Dan Mamane pour les activités suisses, tandis que les points de vente français ont rejoint leur principal concurrent, le groupe But.

Entrée dans une nouvelle ligue

Depuis le 1er août, c’est donc ce diplômé d’HEC Lausanne de 48 ans qui veille sur la destinée des 22 enseignes suisses de la marque. Les magasins emploient 1200 personnes. L’an dernier, ils ont dégagé un chiffre d’affaires de 450 millions de francs. En marge de l’annonce de l’acquisition, leur directeur général, Patrice Dupasquier – qui reste en place –, signalait que, cette année, le manque à gagner entraîné par la pandémie était d’ores et déjà pratiquement rattrapé.

Quatre cent cinquante millions de francs. Bien plus que les quelque 100 millions générés par PowerData Holding, le groupe de Dan Mamane. Inconnue du grand public, cette société de participations et ses cinq filiales emploient une cinquantaine de personnes. Leur trait d’union: l’électronique. Dan Mamane a découvert ce domaine très jeune auprès de ses oncles domiciliés en Suisse.

Le goût de l’entreprise

Car lui, c’est dans le sud de la France, à Toulon, qu’il a grandi. A 18 ans, baccalauréat en poche, il vient s’établir à Lausanne pour y obtenir sa licence en économie. Il ne quittera plus cette région dans laquelle il ne va pas tarder à faire éclore son esprit d’entreprise. A l’université déjà, il crée ses premiers petits business: des cours de soutien et de la revente de matériel électronique qu’il se procure aux Etats-Unis, quelques années avant l’émergence d’internet: «J’avais un petit job d’étudiant, mais j’ai vite compris que je pourrais gagner plus autrement.»

Cet autrement, ce sera donc l’électronique. Un secteur dans lequel il va concentrer, dès 1996, ses activités jusqu’à son arrivée récente dans le monde de l’ameublement. Des casques audio aux drones, en passant par les imprimantes 3D, PowerData importe des produits et les revend à la grande distribution.

Traversée du désert

L’édifice que Dan Mamane a bâti manque de s’écrouler en 2008. Un gros client ne s’acquitte pas d’une facture de 6 millions de francs, raconte l’hyperentrepreneur. C’est la chute. Quatre sociétés dans lesquelles il est partie prenante mettent la clé sous la porte. «On était considérés comme mort, tout le monde nous a lâchés», se souvient-il.

Et pourtant, PowerData survit. Mais son propriétaire n’est pas complètement serein. «En tant que middle man, intermédiaire entre les marques et les réseaux de distribution, nous étions toujours tributaires des stratégies de nos fournisseurs.» En 2014, le rachat de Beats par Apple suscite un déclic: «Je me suis dit que nous n’étions pas plus bêtes que les autres et que nous allions investir à l’avenir dans notre propre portefeuille de marques.»

Création d’entreprises en série

Un an plus tard, la société mère est créée. Les filiales suivent. Principal fait d’armes revendiqué, suite à cette nouvelle orientation: la conception pour la marque Philips d’une gamme de projecteurs dont le Picopix Max. Il y a deux ans, ce produit est devenu la deuxième plus grande campagne de précommandes au monde, assure, non sans une pointe de fierté, le Vaudois d’adoption. Il ajoute, songeur: «C’est vrai qu’on aurait peut-être dû davantage parler de ce Made in Tolochenaz.»

Après avoir développé ses affaires en amont de son activité historique, Dan Mamane affirme poursuivre la même logique avec l’acquisition de Conforama, par ailleurs cliente de PowerData. Cette nouvelle corde à son arc a pourtant de quoi surprendre. Même si le détaillant vend aussi de l’électronique de divertissement et des appareils électroménagers, il détonne au milieu de la myriade de sociétés actives dans la technologie de PowerData. L’opération marque aussi un tournant: la première rencontre entre ce père de famille et le grand public, le B2C, selon l’expression consacrée.

Lui n’y voit pas d’incohérence: «Le dénominateur commun, c’est d’être là où on ne m’attend pas et où il y a des perspectives.»

Faire cohabiter grandes surfaces et e-commerce

Mais tout de même, pourquoi investir dans des grandes surfaces, un modèle d’affaires en sursis? «Tout le monde dit que le retail est mort. C’est le magasin de maman et de papa qui est mort, rétorque-t-il. Celui-ci doit se réinventer et cohabiter avec le commerce électronique. Regardez ce qu’Amazon fait. Il rachète des magasins comme les supermarchés Whole Foods et ouvre des magasins. Pour moi, les grands gagnants seront ceux qui maîtriseront les deux volets.»

Même s’il cite Amazon, le patron de Conforama Suisse ne rêve pas de marcher dans les traces du groupe américain. «Je n’ai pas la folie des grandeurs, pas de projets d’expansion, assure-t-il. Pour moi, Conforama a un magnifique potentiel et j’ai bien l’intention de l’exploiter.» Comment? «En développant bien sûr l’e-commerce, mais aussi en modernisant les outils à la disposition des équipes à tous les niveaux de l’entreprise.»

Présente depuis quarante-quatre ans en Suisse, la chaîne de magasins pourrait aussi bénéficier d’une indépendance qui ne l’empêchera pas de continuer à travailler avec les mêmes fournisseurs. Sans s’engager dans l’opérationnel, son nouveau propriétaire fera en tout cas tout pour, lui qui assure avoir réalisé un investissement à long terme.

Il déteste les jeux d’argent

La dernière question qui dérange: ce penchant pour les jeux d’argent évoqué par le Blick. «Je ne comprends pas d’où vient cette information, s’étonne le principal intéressé. D’autant plus que je déteste ça. Sans doute de cette soirée d’entreprise où nous avions organisé des tables de jeu pour divertir nos fournisseurs et nos clients. Un tirage au sort permettait à deux de ces derniers de partir au CES de Las Vegas, la grand-messe annuelle de l’électronique.»

Avec la touffeur d’un été covidien en guise de toile de fond, Dan Mamane apprend à gérer sa nouvelle notoriété. Le prix à payer lorsque l’on fait irruption dans une nouvelle ligue économique. L’homme sera désormais suivi de près. Il l’a très vite compris.