Richard Attias, ancien patron de PublicisLive, fondateur du New York Forum Africa organisé à Libreville (Gabon) du 28 au 30 août
«Avec sa démographie et l’ambition de sa jeunesse, l’Afrique est un continent qui ne s’endormira plus»
A 55 ans, Richard Attias a eu plusieurs vies. Ayant longtemps résidé à Genève, pilier du Forum économique mondial (WEF) de Davos – dont il participa, comme prestataire de services, à l’organisation des sommets durant quinze ans –, fondateur de PublicisLive – il en a revendu ses parts en 2008 –, il a, depuis 2012, mis le cap sur l’Afrique en mettant sur pied le New York Forum Africa. La quatrième édition de cette plate-forme d’échanges et de promotion de l’entreprenariat, dont Le Temps est partenaire, aura de nouveau lieu à Libreville, au Gabon, du 28 au 30 août prochains. Suivra, en novembre, l’organisation du deuxième Forum économique de la francophonie à Paris, après celui organisé en 2014 à Dakar, au Sénégal. Entretien avec un consultant international persuadé que le décollage du continent noir appartient déjà au passé, et que sa croissance économique va continuer de nous surprendre.
Le Temps: L’Afrique séduit de plus en plus d’entrepreneurs. Même les groupes de médias internationaux, tels Ringier (propriétaire du «Temps») s’y aventurent. C’est une révolution destinée à durer?
Richard Attias: Nous ne sommes plus dans une logique de redémarrage, ou de décollage de l’Afrique. Nous sommes en face d’un potentiel de croissance très prometteur, et le succès de notre New York Forum Africa le démontre. Vous savez que je suis très attaché à cette partie du monde. J’ai toujours conservé ma nationalité marocaine. On peut donc penser que je suis biaisé dans mon analyse. Mais franchement: dans quelle autre partie du globe trouve-t-on une jeunesse aussi ambitieuse, doublée d’une telle capacité de survie, d’une telle résistance? L’Afrique a survécu à Ebola, aux guerres civiles, à l’épidémie de sida. Et maintenant, en partie grâce aux nouvelles technologies de l’information, elle a les moyens de rattraper une partie de son retard. Son moteur va continuer, dans les années à venir, de tourner à plein régime. J’en suis persuadé: l’Afrique est un continent qui ne s’endormira plus.
– L’organisation de grands événements internationaux est votre spécialité. Vous avez, durant de longues années, été l’une des chevilles ouvrières du Forum de Davos. N’êtes-vous pas en train de copier ce modèle et de le délocaliser?
– J’ai quitté l’organisation de Davos depuis sept ans maintenant. Et cette étiquette continue de coller à tous mes projets, ce qui prouve la puissance de la marque que nous avons créée avec le Forum économique mondial. Davos est un label incontestable de qualité et je reste très fier, très honoré d’avoir participé à cette aventure. Notre modèle, pour le New York Forum Africa, est différent. Plus de 50% de notre audience a moins de 30 ans. Nous organisons, à côté des rencontres d’entrepreneurs et des panels d’experts, un «Africa Citizen Summit» pour donner encore plus la parole aux jeunes. Nous ne sommes pas focalisés sur l’analyse des grandes évolutions du monde, comme l’est Davos. Nous sommes dans l’action, et nous favorisons ouvertement la signature de contrats. Des transactions pour un montant de plus de 1 milliard de dollars ont été signées l’an dernier à Libreville. Je n’en ai pas honte. Mon ambition est de faire de ce forum une plate-forme pour les jeunes entrepreneurs africains et pour les investisseurs étrangers désireux de les rencontrer.
– Le Gabon est souvent cité pour ses problèmes chroniques de gouvernance liés à sa rente pétrolière et à la mainmise sur le pouvoir de la famille Bongo. Est-ce un bon exemple à donner aux entrepreneurs africains?
– Le président gabonais, Ali Bongo, nous fait confiance depuis maintenant quatre ans. Il a été le premier à vouloir organiser un forum économique panafricain de ce type, et je considère la fidélité comme une qualité essentielle en affaires. Je revendique donc notre fidélité au Gabon, qui n’a pas l’exclusivité des problèmes de gouvernance, loin s’en faut. On a trouvé nos marques dans ce pays, et l’exemple du Forum économique mondial montre que ce type de plate-forme gagne à être organisé hors des grandes capitales. Il y a Davos en Suisse. Il y a Aspen aux Etats-Unis. Nous avons maintenant Libreville en Afrique.
– Je reviens sur l’aspect politique, souvent décisif en Afrique. Comment parler croissance, contrats, sans parler de corruption, d’insécurité juridique, etc.?
– J’ai entendu pendant longtemps quantité de bonnes raisons de ne pas organiser d’événements en Chine, au Kazakhstan, et dans bien d’autres pays émergents. Et pourtant… le monde entier y afflue pour signer des contrats. Je suis aussi fier d’avoir organisé, en mai dernier, le forum économique de Charm el-Cheikh, en Egypte. Je me tiens toujours à l’écart des considérations politiques. D’autant qu’en ce qui concerne la corruption, l’argent «gris», etc. le bilan de nombreux pays occidentaux, dont la Suisse, n’est pas toujours exemplaire. J’ai toujours plaidé, en revanche, pour que les événements que j’organise soient ouverts à la presse. Avoir des journalistes présents à nos côtés est un bon moyen de promotion, bien sûr, mais aussi une solide garantie d’autocritique. Ce que je constate, au-delà des contrats signés durant notre forum, c’est l’impact que nous avons déjà sur l’économie locale à Libreville. Nous avons un peu servi de pépinière à des entreprises de location de voitures, de services hôteliers, etc. Si nous pouvons avoir un effet d’entraînement sur la ville et son activité, similaire à celui que le Forum économique mondial a eu à Davos, nous aurons accompli une bonne partie de notre mission.
– Vous avez gardé votre nationalité marocaine, mais vous êtes perçu comme un homme d’affaires français. Vous faites aussi partie, par votre mariage avec Cécilia, l’ex-épouse de Nicolas Sarkozy, des personnalités en vue à Paris. Comment voyez-vous la situation économique de la France aujourd’hui?
– Dans mon domaine d’activité, celui des événements de portée internationale, la France a une marque extraordinaire et une position presque unique. Or, je constate qu’elle ne les valorise plus. Un des problèmes français, me semble-t-il, est le manque de projets fédérateurs, qui permettraient de valoriser l’innovation. Je pense que la COP21, la grande conférence internationale sur le climat qui se réunira à Paris en décembre, est de ce point de vue une excellente opportunité. Nous allons aussi y organiser, à la fin octobre, le second Sommet économique de la francophonie. La France a besoin de cette énergie fédératrice et la candidature de Paris à l’exposition internationale 2025 tout comme celle aux Jeux olympiques de 2024 vont pour moi dans le bon sens. Accueillir ce type d’événements ne résout pas les difficultés réelles en termes de créations d’emplois, de rigidité du marché du travail, ou de complication administrative que les entrepreneurs déplorent souvent. Mais ils apportent une part de rêve et créent des brèches dans lesquelles peuvent s’engouffrer des innovateurs. Surtout à l’ère d’Internet.
– Internet et les télécommunications, justement. C’est ce qui vous fait croire aux chances de l’Afrique?
– Voir que des pans entiers du continent sont en train, grâce à ces technologies, d’être désenclavés est évidemment un changement tectonique. L’Afrique est en train de sauter une génération, c’est une réalité. Et ne croyez pas que je sois un afro-optimiste béat. Je vois bien les problèmes, en particulier du côté des infrastructures. Le point qui fait toute la différence, selon moi, est la jeunesse africaine et son envie de réussir. L’autre moteur est l’effet de levier que constitue, depuis quelques années, l’arrivée d’importants investisseurs dans des pays clés comme le Kenya, le Mozambique, le Nigeria, le Maroc ou la Côte d’Ivoire. Cette très forte poussée des investissements oblige les gouvernements de ces pays à adopter plus de transparence et à moderniser leurs manières de faire. Je tiens toujours, aussi, à rappeler que les pays émergents d’Asie ont leur lot de problèmes à résoudre. On le voit en Chine ou en Inde. Le verre de l’Afrique, dans ce contexte, est plus qu’à moitié plein.