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La dépendance de la Suisse à la Chine est sous-estimée

C’est une erreur de se focaliser uniquement sur les relations commerciales directes entre les deux pays. Selon une étude de Credit Suisse, la Suisse souffrirait davantage qu’on l’imagine si la croissance s’effondrait dans l’Empire du Milieu

Sur la base des statistiques des exportations, le Japon est plus exposé que la Suisse à un ralentissement chinois. — © Kim Kyung-Hoon/REUTERS
Sur la base des statistiques des exportations, le Japon est plus exposé que la Suisse à un ralentissement chinois. — © Kim Kyung-Hoon/REUTERS

Parfois, les chiffres ne disent pas tout. Si l’on en croit les statistiques des exportations, l’économie suisse est relativement peu exposée à la Chine. En 2018, elles atteignaient 5% du total (environ 12 milliards de francs), auxquels on peut ajouter près de 3% si l’on inclut Hongkong. Ainsi, souligne Credit Suisse dans une étude présentée mardi matin à Zurich, l’Empire du Milieu est peut-être le cinquième débouché des exportateurs suisses, mais l’écart avec le premier, l’Allemagne, est «considérable».

De fait, à elles seules, les ventes à destination des deux länder limitrophes (Bavière et Bade-Wurtemberg) sont presque deux fois plus importantes que celles en direction de la Chine, poursuivent les experts de la grande banque. Il existe néanmoins des différences entre branches. Si la chimie, la pharma ou les medtechs sont généralement insensibles aux variations de croissance, c’est moins le cas de l’alimentaire, l’horlogerie ou l’industrie des machines, prévient Credit Suisse. Mais, en moyenne, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Italie ou le Japon sont ainsi bien plus exposés au ralentissement chinois.

Achats à l’étranger

Pourtant, on ne peut pas en rester là, prévient encore Credit Suisse, qui cite de nouveau l’horlogerie: certes, seule une montre sur dix fabriquée en Suisse est vendue en Chine. Or, on sait que les touristes de ce pays en achètent régulièrement à l’étranger, mais cela ne se reflète pas dans les statistiques des exportations vers la Chine. Les ventes de montres en Europe suivent d'ailleurs les tendances du tourisme chinois vers cette région, a souligné Claude Maurer, responsable de l'analyse de la conjoncture suisse pour Credit Suisse, lors de la conférence de presse.

Plus global encore que l’horlogerie: «Près de 20% des produits générateurs de valeur ajoutée vendus par la Suisse à son voisin du nord sont réexportés, notamment à destination de la Chine.» Les fournisseurs du secteur automobile sont particulièrement concernés. A cela s’ajoute l’importance croissante de la deuxième économie sur le reste de la planète: Pékin est devenue le débouché numéro un de 16% des pays que compte le globe (3% en 2000).

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Ainsi, Credit Suisse reprend des calculs réalisés par la Banque centrale européenne qui, selon elle, s’appliquent aussi à la Suisse: une baisse de 3,3 points de pourcentage de la croissance chinoise sur trois ans pourrait ralentir celle de l’Europe de 1,1 point de pourcentage. Au final, présumer que la Suisse «pourrait se soustraire à un effondrement de la croissance chinoise serait illusoire», poursuivent les analystes, qui font néanmoins une distinction.

Facteurs internes ou géopolitiques

Pour les experts, le ralentissement est acté – il ne faut pas s’attendre à une progression du PIB supérieure à 6% ces prochaines années –, mais ses causes sont moins évidentes. Si le coup de frein venait de facteurs internes, comme l’endettement ou la démographie, la Suisse en souffrirait moins que s’il était dû à des tensions géopolitiques dont fait partie le différend commercial avec les Etats-Unis. Dans ce cas, les répercussions seraient plus importantes notamment à travers les réactions des marchés financiers.

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Croissance moins dynamique que prévu

Parce que la Chine ralentit, tout comme l’économie mondiale, Credit Suisse a revu ses prévisions pour la Suisse. Après un boom en 2018, essentiellement au premier semestre – 2,5% de croissance sur l'année –, le pays devrait ralentir à 1,5%, contre 1,7% prévu initialement. Elle prévoit ensuite une progression du PIB de 1,8% l'année suivante. Les taux d’intérêt devraient en revanche rester au plancher encore de longs mois: les économistes n’anticipent pas de hausse avant juin 2020.

La banque n'est pas la seule à se montrer un peu plus circonspecte pour cette année. Elle reste néanmoins parmi les plus optimistes. Le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) prévoit une croissance de 1,1% seulement en 2019, alors qu'il tablait sur 1,5% jusqu'à la semaine dernière. Plus prudente encore, UBS a annoncé en février qu'elle ne voyait plus qu'une progression de 0,9% pour 2019, alors qu'elle tablait aussi sur une hausse de 1,5%. M.F.