Il y a de quoi ficeler un polar. Imaginez: le conservateur et le restaurateur d’un musée retrouvés morts coup sur coup d’un mystérieux empoisonnement, dans la pièce où sont entreposés les objets anciens. Très vite, l’enquête piétine, les potentiels suspects sont tour à tour disculpés. Les pistes convergent étrangement vers une statuette de la Vierge, vêtue d’un taffetas flamboyant, teintant les événements d’un soupçon de surnaturel. Le dénouement viendrait d’un genre de Guillaume de Baskerville, du nom du personnage du Nom de la rose d’Umberto Eco, qui finirait par découvrir la présence d’arsenic dans le vêtement. Elémentaire.

«Ce n’est jamais arrivé, bien heureusement», s’exclame dans un rire Elke Mürau, conservatrice au Musée national suisse. Bien réelle est en revanche la contamination de collections par des substances nocives pour la santé. «C’est le résultat de décennies de traitements aux biocides pour protéger les objets des insectes, champignons et moisissures», poursuit-elle. Ils sont imprégnés de résidus de pesticides organochlorés tels que PCP, DDT et lindane notamment. Ainsi que de produits inorganiques comme le plomb, le mercure et l’arsenic, qui ont aussi été utilisés pour la naturalisation d’animaux (taxidermie).

Environ 70 ans de contamination

Difficile de chiffrer l’ampleur du problème, car ces procédés ont été très peu documentés; «on trouve dans la littérature des preuves que ce type de traitement a été réalisé au moins à partir des années 1920, jusqu’au début des années nonante, quand des études ont démontré la nocivité de ces produits pour la santé», indique Tiziana Lombardo, chimiste de formation et collaboratrice scientifique au Musée national suisse. Peut-être même un peu plus longtemps, pour écouler les stocks.

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Les lacunes sont tout aussi nombreuses quand il s’agit de recenser des maux dont souffrent les personnes manipulant ces objets. «Tout dépend de la concentration de produits et de la sensibilité individuelle à leur exposition», observe Elke Mürau. Cela commence par des migraines persistantes, des difficultés respiratoires, des inflammations des yeux, raconte la conservatrice. Quant à des liens avec des maladies plus graves, ils n’ont pas été attestés, faute de recherches en la matière.

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Dans ce contexte, les musées ont banni l’usage de ces traitements – aujourd’hui, les objets sont placés pendant six à huit semaines dans des chambres d’azote, dépourvues de toute molécule d’oxygène, pour asphyxier les éventuels nuisibles et leurs larves. Quant à la manipulation d’objets déjà contaminés, des dispositifs de protection ont été mis en place, tels que l’usage impératif de masques et de gants, mais aussi, dans certains cas, d’une combinaison de protection ou encore le travail sous hotte aspirante. Certains objets sont même placés en quarantaine, dans des dépôts où l’accès est restreint. «Les techniques de protection ont progressé», note Elke Mürau.

Du nettoyage au CO2 liquide

Sans que le problème ne soit résolu. Jusqu’à ce coup de fil d’Ingo Mayer, professeur à la Haute Ecole spécialisée de Berne. «Je travaillais également sur la problématique depuis plusieurs années», raconte le chercheur, responsable du département architecture et bois, spécialisé dans les émissions et extractions de substances. Ses travaux rejoignent la recherche de nouveaux débouchés commerciaux d’une PME biennoise, Amsonic-Hamo.

Créée dans les années 1970, la société de 70 collaborateurs a développé une technologie permettant un nettoyage de précision, grâce au CO2 liquide. «Mis sous forte pression, le gaz se liquéfie. Il peut ensuite être utilisé comme un produit de nettoyage», indique Hansruedi Moser, ingénieur et fondateur de la société. Ses principaux clients sont l’industrie des implants médicaux et l’horlogerie, mais la technologie peut aussi être utilisée sur des structures navales et aérospatiales. «La décontamination des pièces de musées représente une potentielle nouvelle application pour notre technologie.»

Financé pour un tiers par la Confédération

Les tests démarrent en 2014 sur des échantillons, dans un premier temps. Concluants, ils permettent de convaincre la direction du Musée national suisse de confier quelques objets à cette recherche. Le projet, devisé à près d’un million de francs, sera financé pour un tiers par la Confédération, dans le cadre du programme de promotion des technologies environnementales (entre 2012 et 2016, 133 projets ont été soutenus pour un montant total de 20 millions de francs).

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«Outre la détoxification, parmi les éléments qui ont déterminé l’attribution de ce soutien figure le fait que les biocides ne sont pas rejetés dans l’atmosphère au terme du processus. Ils sont filtrés puis éliminés», souligne Daniel Zürcher, responsable de l’innovation à l’OFEV. De même, le CO2 liquéfié n’est pas dispersé dans l’air ambiant, mais est réutilisé.

«Nous avons décontaminé neuf objets au total», précise Elke Mürau. Un képi, une chaussure, une robe mariale, un tiroir en bois laqué, un gant en cuir et en fourrure, notamment. «Il est important que les objets soient documentés avec plusieurs méthodes analytiques avant et après décontamination», indique Tiziana Lombardo, qui a effectué les mesures à chaque étape du processus. Tous ces objets partent pour Berlin, où se trouve une des installations d’Amsonic destinées au nettoyage industriel de pièces mécaniques – une sorte de grosse machine à laver, dotée d’un tambour de deux mètres de diamètre. Entre 70 et 90% des pesticides ont pu être éliminés, rapporte Tiziana Lombardo, jugeant ce taux «très bon».

Quelques dommages constatés

Mais… il y a un grand mais, relèvent les deux collaboratrices du Musée national suisse. «Des dommages ont été observés, même si heureusement ils sont très restreints», constate Elke Mürau. La visière d'un des képis d'officier de la deuxième guerre mondiale présente de petites boursouflures après décontamination. Quand on le retourne, sous les inscriptions de Bethli, Marie et Erika – sans doute les conquêtes du soldat qui l’a porté –, on aperçoit une forte décoloration de la doublure. C’est là toute la difficulté: des matériaux très divers entrent dans la composition de certains de ces objets, du tissu, du cuir, du vernis, de la fourrure parfois, du métal. Et chacun de ces matériaux réagit différemment au traitement. «La méthode de nettoyage au CO2 liquide présente un très grand potentiel. Mais elle doit être perfectionnée», résume Ingo Mayer.

Et là se dresse un obstacle de taille, celui du financement. Hansruedi Moser estime que pour construire un centre de décontamination spécialisé, il faudrait rassembler entre 500 000 et un million de francs rien que pour l’infrastructure. A ce montant, il faudrait ajouter quelque 5 millions de francs pour son exploitation, avec l’engagement de deux collaborateurs spécialisés.

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Les différentes parties prenantes du projet planchent à présent sur une feuille de route pour la prospection de fonds, qui devrait démarrer dans le courant de l’an prochain. La piste du mécénat est évoquée par les musées. Hansruedi Moser privilégie la piste du public, puisque la thématique concerne aussi les écoles, qui travaillent avec des animaux naturalisés contaminés. Il envisage aussi d’adresser une demande à la Suva, «puisqu’il s’agit de sécurité au travail». L’OFEV, pour sa part, n’exclut pas de reconduire son soutien, comme il l’a fait pour d’autres projets de son programme de promotion. «Tout dépend des défis techniques qui restent à relever», précise-t-il, comme pour ajouter la touche de suspense qui manquait à l’intrigue.

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Trois projets parmi des centaines

Voilà plus trente ans que la Confédération soutient l’innovation dans les technologies environnementales, lesdites cleantechs. Entre 1997 et 2016 (derniers chiffres disponibles), un total de 545 projets ont été subventionnés à hauteur de 62 millions de francs. Mais il y a une accélération ces dernières années, puisque environ un tiers de ces fonds ont été distribués depuis 2012.

Dans son dernier rapport quinquennal, le Conseil fédéral souligne que le soutien apporté aux projets du secteur «déchets, recyclage et cycles des matières premières» est passé de 13% à 45% du total des aides.

Mais les domaines soutenus sont très variés: biodiversité, climat, protections des eaux, de l’air, des sols, contre le bruit… Ces secteurs d’activité ont reçu 75% des aides financières, qui se matérialisent sous la forme de financements, de crédits ou de cautionnement. Le quart restant a soutenu des mesures d’accompagnement pour améliorer l’efficacité des ressources, notamment.

La liste des projets est un invraisemblable melting-pot d’idées et d’inventions qui, à défaut de sauver la planète à elles seules, promettent une utilisation plus intelligente des ressources. Il y en a des poétiques, des techniques, des pragmatiques et des anecdotiques. Arbitrairement et subjectivement, Le Temps en a sélectionné trois.

1. Terrabloc, des briques en terre crue

L’entreprise Terrabloc produit des blocs de terre compressés et séchés à l’air. Ils sont confectionnés à partir du recyclage de déblais d’excavation et destinés à la construction de façades, de murs et de cloisons. Contrairement aux briques en terre cuite ou en plâtre, les briques en terre crue ont un très faible impact environnemental et préservent les ressources naturelles comme le sable et le gravier.

Grâce au cautionnement de l’OFEV, Terrabloc a eu un accès facilité à du crédit bancaire. En deux ans, l’entreprise de trois employés a ainsi pu promouvoir ses briques, obtenir un écobilan et d’autres certifications et, surtout, réaliser ses premiers chantiers.

Les bureaux sont à Genève, le site de production à Allaman, au sein de son partenaire industriel, l’entreprise Cornaz. Grâce à ce «coworking industriel», elle est désormais capable de produire 10 000 briques par jour, soit dix fois plus qu’auparavant. Des volumes qui permettent, en termes de prix, «de commencer à venir titiller les produits industriels», se réjouit Rodrigo Fernandez, l’un des deux cofondateurs. De 150 francs le m2, les briques de parement en terre crue vont descendre à 80 francs environ, contre 60 à 70 francs pour les briques de terre cuite.

Terrabloc compte une quinzaine de réalisations à son actif. Dont deux qui se démarquent: une rénovation au Grand Théâtre de Genève et un premier mur porteur, au réfectoire scolaire de Geisendorf, dans le quartier de la Servette.

2. Ledcity, la lumière qui vous repère

A l’heure où de plus en plus de villes, en Suisse ou à l’étranger, s’interrogent sur la pertinence d’éteindre leur éclairage public la nuit, Ledcity semble promise à un bel avenir. La start-up zurichoise a développé des LED intelligentes qui, grâce à des capteurs de mouvements intégrés, s’allument au passage d’un piéton ou d’un véhicule. Jusqu’à 90% de la consommation normale d’électricité peut ainsi être économisée, selon Ledcity.

L’OFEV fournit un cautionnement à la société, lui facilitant ainsi l’obtention de crédits. Mais c’est grâce aux 95 000 francs de soutien de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et d’une collaboration avec les Services industriels de la ville de Zurich (EWZ) que Ledcity a installé son premier système dans deux tunnels, l’un piéton, l’autre cycliste. «C’est notre zone de démonstration, résume Patrick Deuss, le directeur de la société de huit employés. Grâce à lui, nous avons plusieurs clients intéressés par notre technologie.» Il cite notamment l’aéroport de Zurich et quelques hôtels de renom, qui disposent de grands parkings dans lesquels ils souhaitent économiser sur éclairage.

L’argument de vente de Ledcity, ce ne sont pas seulement les capteurs de mouvements. Pour les clients, c’est la décentralisation du système qui est particulièrement intéressante – à l’installation et à l’usage. Patrick Deuss précise encore: «Il y a d’autres sociétés qui se spécialisent dans l’éclairage public. Mais il n’est pas exclu que cela devienne un marché pour nous aussi.»

3. Reffnet, les experts ès ressources

Reffnet n’est pas une entreprise, c’est un réseau. Un ensemble d’une trentaine d’experts en écologie industrielle, en environnement ou en nouveaux matériaux. Concrètement, Reffnet conseille les entreprises qui cherchent à réduire leur empreinte écologique. L’association a par exemple assisté la brasserie vaudoise Dr Gabs, lorsque celle-ci a vu sa production et l’étendue de sa distribution exploser. A la suite d’un examen, la brasserie a localisé la production de bouteilles chez Vetropack à Saint-Prex. Elle a pu déterminer que jusqu’à 1400 km de distance, il était plus favorable écologiquement de maintenir un système de collecte-lavage-réutilisation des bouteilles. Ces dernières ont par ailleurs hérité d’un nouveau design, ce qui a permis d’économiser quelque cinq tonnes de verres par an.

Autre exemple avec Saropack, spécialiste saint-gallois des machines et des films d’emballage. Il s’agissait de réduire – dossier sensible et médiatisé – les emballages des fruits et légumes vendus en grande surface. Au lieu de plusieurs films en PVC, une matière problématique d’un point de vue environnemental du fait des émissions de dioxines hautement toxiques lors de leur incinération, une alternative a été trouvée: une seule couche à base de polyéthylène (PE). En combinant le changement de matériau et la réduction de l’épaisseur de celui-ci, les calculs de Reffnet ont montré que l’impact environnemental de la nouvelle solution est 95% moins important que l’emballage usuel.

L’OFEV vient de reconduire son soutien à Reffnet pour quatre années supplémentaires. Le projet a déjà été développé sur quatre ans, à raison d’un million par année. Pour chaque entreprise participante, l’OFEV a payé les trois premiers jours de conseil. Si à l’issue de l’analyse, l’entreprise souhaite se lancer, deux jours de conseil supplémentaires sont payés.