Ils n’ont jamais été portés, et pourtant ils sont partis en fumée. Dans son rapport annuel, Burberry annonce avoir détruit des produits d’une valeur totale de 28 millions de livres l’année dernière, soit plus de 36 millions de francs. La liste comprend des vêtements de la maison de luxe britannique, dont ses iconiques trenchs, ainsi que des cosmétiques. La capacité de la célèbre marque à anticiper les fluctuations de la demande semble se détériorer. Plus de 90 millions de francs de produits ont été détruits au cours des cinq dernières années, avance le Times.

Depuis cette annonce, l’entreprise est sous le feu des critiques. Les défenseurs de l’environnement dénoncent un gaspillage à grande échelle. Kirsten Brodde, qui dirige la campagne Detox My Fashion pour Greenpeace, a déclaré que Burberry «ne montre aucun respect pour ses propres produits ni pour le travail acharné et les ressources naturelles nécessaires à leur fabrication».

Protéger la marque

Face à ces accusations, la marque se défend. «Burberry a mis en place des processus minutieux pour minimiser la quantité de stock excédentaires que nous produisons, affirme un porte-parole de la société. Dans les cas où l’élimination des produits est nécessaire, nous le faisons de manière responsable et nous continuons à chercher des moyens de réduire et de réévaluer nos déchets.» L’entreprise assure travailler avec des prestataires qui sont capables de récupérer l’énergie électrique produite au moment de l’incinération. Cette tendance déplaît tout de même aux actionnaires. Au cours d’une assemblée générale qui s’est tenue la semaine dernière, ces derniers auraient demandé pourquoi les invendus n’étaient pas offerts aux investisseurs privés de la société.

Si le public apprend qu’une marque se débarrasse de ses invendus, cela met à nu tout le storytelling. Sa réputation prend tout de suite du plomb dans l’aile.

Olivier R. Müller, consultant

L’opération a un objectif: protéger la marque. Les acteurs de l’industrie textile sont forcés de détruire le surplus pour éviter que leurs produits ne se retrouvent sur le marché clandestin et ne s’écoulent à des prix défiant toute concurrence. «Les marques de prestige ne peuvent pas se permettre une telle chose. Elles refusent par exemple d’organiser des soldes, car cette décision casserait leur image et leur positionnement haut de gamme», confirme Christophe Laborde, analyste financier chez Bordier & Cie. Ce mécanisme s’applique aux vêtements, mais qu’en est-il des produits cosmétiques? Leur élimination s’expliquerait par le rachat de la ligne de beauté du groupe par la société américaine Coty. Et, pavé dans la mare du luxe, l’entreprise rappelle que cette pratique est commune dans ce secteur hautement concurrentiel.

«Un mythe cousu de fil d’or»

«C’est une erreur économique classique que l’on observe lors du lancement d’une nouvelle collection. Les distributeurs ne veulent pas manquer des ventes mais, si la demande faiblit, ils se retrouvent avec des stocks importants sur les bras. La marque, de son côté, n’est pas payée puisque les ventes ne sont pas effectuées. Cela crée un goulet d’étranglement, et tous les acteurs sont perdants», détaille Christophe Laborde. Un phénomène qui s’aggrave avec le temps car, dans le secteur de la mode, les produits ont une date de péremption esthétique.

La mauvaise gestion des stocks peut se révéler dramatique pour l’industrie du luxe. Cette dernière prospère sur la supposée rareté de ses produits. «Il s’agit d’un mythe cousu de fil d’or, sourit le consultant suisse Olivier R. Müller. Si le public apprend qu’une marque se débarrasse de ses invendus, cela met à nu tout le storytelling. Sa réputation prend tout de suite du plomb dans l’aile.» La destruction de produits est un grand tabou. Résultat: aucune marque haut de gamme n’ose admettre agir de la sorte. La communication de Burberry est donc d’autant plus surprenante. «Est-ce une maladresse ou un exercice de transparence? s’interroge le fin connaisseur du monde de la haute horlogerie. Je trouve cela très étrange, le sujet est sensible.»

Les marques horlogères n’échappent pas au phénomène. Richemont, la société propriétaire de Cartier et de Montblanc, a détruit plus de 520 millions de francs de montres en deux ans après avoir racheté les stocks non désirés de bijoutiers. Il est toutefois rare qu’une société active dans le secteur du luxe soit prise la main dans le sac. Avant Burberry, c’est la marque grand public H&M qui avait été épinglée pour avoir brûlé ses invendus. Le géant suédois du textile use de cette méthode pour les produits défectueux ou dangereux, ce qui représente 60 tonnes d’habits depuis 2013. Le symbole d’une industrie qui produit en masse.