«Diffuser les Jeux olympiques n’est et ne sera jamais rentable»

Médias La publicité ne compense pas les investissements, assure le patron du sport à la SSR

A 3 jours de Sotchi, Urs Leutert évoque la stratégie du groupe audiovisuel public en matière de sport

Alors que la flamme olympique illuminera le stade Fisht, ce vendredi soir à Sotchi, Urs Leutert, le responsable du sport à la Société suisse de radiodiffusion (SSR), évoque les enjeux techniques, humains et financiers de l’événement planétaire pour lequel sont prévues 250 heures de retransmissions en direct. Dans quatre mois, il y a aussi la Coupe du monde. L’équipe de Suisse au Brésil? Elle coûte davantage que ce qu’elle rapporte. Le groupe audiovisuel public s’est malgré tout déjà emparé des droits TV de tous les grands rendez-vous sportifs jusqu’en 2016.

Le Temps: Quels sont les moyens investis dans les Jeux olympiques de Sotchi?

Urs Leutert: Il convient d’abord de distinguer les moyens déployés pour nos programmes et ceux pour la production. Pour couvrir l’événement et suivre les athlètes suisses, plus de 235 personnes pour toutes les régions linguistiques seront présentes sur place. Pour 3 TV, 4 radios et 4 sites internet. La SSR a cependant aussi été mandatée par le CIO pour produire le ski alpin [l’autre candidat était la télévision autrichienne, ndlr] . Pour cela, 105 personnes sont engagées en Russie. Nous en sommes fiers, cela valorise notre savoir-faire, nous apporte de l’expérience, et même un bénéfice financier.

– Produire le ski pour le CIO permet-il de limiter la facture finale?

– Les deux comptabilités sont strictement séparées, mais en un sens, oui. Quoi qu’il en soit, diffuser les Jeux olympiques, la Coupe du monde ou un autre grand événement sportif, comme la Formule 1 ou la Ligue des champions, n’est et ne sera jamais rentable. C’est du service public. Les grands sports sont devenus trop chers pour qu’il soit possible de gagner de l’argent. Je ne connais aucune chaîne qui y parvienne. En France, TF1 a renoncé à diffuser la Formule 1. En Allemagne, RTL la diffuse pour soigner sa réputation, pour pouvoir dire qu’elle est une grande chaîne de sport.

– Les revenus publicitaires ne compensent-ils pas les investissements consentis?

– Clairement, non.

– Même si l’équipe de Suisse participe à la Coupe du monde au Brésil?

– Les années de grands événements sportifs, comme 2014, les annonceurs y consacrent certes une plus grande partie de leur budget. Mais du coup, ils dépensent moins ailleurs. Le gâteau publicitaire n’augmente en fait que très peu. D’autre part, suivre les joueurs suisses dans leurs déplacements, leur hôtel, ou partout ailleurs, cela double presque nos dépenses pour le Brésil. En plus de la diffusion des matches, il s’agit de proposer au public suisse, avec nos propres moyens techniques et humains, des émissions spéciales sur la Nati. Les effectifs de la SSR au Brésil, initialement fixés à 40 personnes, atteindront finalement 80.

– Donc, lorsque la Suisse en est, une Coupe du monde ou un Euro est encore moins rentable?

Voilà!

– Pour Sotchi, à combien se monte la facture totale pour la SSR?

– Même s’il est évident qu’il s’agit de plusieurs millions de francs, je ne peux pas évoquer les détails financiers. La facture totale inclut l’achat des droits, les frais de personnel, les déplacements, les salaires et toutes les dépenses logistiques, techniques et de production. Tout cela est très complexe, raison pour laquelle je ne veux ni ne peux vous donner de chiffres plus précis. Sans compter que les contrats de droits TV prévoient que les montants en jeu restent strictement confidentiels.

– Mais les droits de diffusion constituent la plus grosse part du budget?

– La non plus, je ne peux pas vous répondre. La SSR a acquis, en un seul contrat, les droits pour les Jeux de Sotchi et ceux de Rio, en 2016.

– Acheter au CIO la diffusion de plusieurs Jeux simultanément permet-il de réduire la note?

– Difficile à dire. D’autant que jusqu’ici, les droits ont toujours été négociés par l’Union européenne de radio-télévision [basée à Genève, l’UER achète les droits au nom des «petits pays», c’est-à-dire tous, sauf l’Angleterre, l’Espagne, la France, l’Espagne et l’Italie, ndlr]. C’est la première fois que le Comité olympique passe par une agence, en l’occurrence Sportfive. C’est, du coup, également la première fois que la SSR a négocié individuellement les droits pour les Jeux.

– Qu’est-ce que cela a changé?

– On a pu négocier en fonction des spécificités suisses. Par exemple, nous avons besoin de 3 ou 4 postes de commentateurs, au lieu d’un seul pour d’autres pays. Et nous sommes plus durs dans les négociations que ne peut l’être l’UER… Par contre, discuter avec ce type d’agences est plus compliqué, car les avocats qui négocient ne s’intéressent pas prioritairement au sport, et pas beaucoup aux médias…

– La SSR bénéficie-t-elle de sa proximité avec les grandes organisations sportives, comme le CIO, la FIFA, l’UEFA, et d’autres?

– D’un point de vue financier, non. En revanche, lorsqu’il s’agit de négocier des ajouts aux contrats existants, par exemple pour le multimédia, c’est un avantage clair. Nous faisons jouer nos relations personnelles. Nous connaissons très bien les gens de la FIFA à Zurich, ou du CIO à Lausanne. Ils sont très réceptifs à nos demandes.

– Le budget global de la SSR fait l’objet de débats politiques réguliers. A l’interne, comment est perçue l’unité «Sport»? La défense de vos budgets est-elle difficile?

– Nous sommes plutôt en bonne position. Notre directeur général, Roger de Weck, le répète d’ailleurs souvent: le sport est une priorité stratégique de la SSR, et cela se manifeste aussi dans le budget qui nous est octroyé. Alors qu’aujourd’hui, n’importe quelle émission ou film est visible en tout temps, le sport est l’un des derniers programmes qui soient diffusés et regardés en direct. Et cela reste très important pour toutes les télévisions linéaires.

– Peut-on partir du principe qu’à la différence des chaînes publiques françaises ou allemandes, la SSR continuera de diffuser toutes les grandes compétitions?

– Notre offre de sport est très complète, et il est en effet utile de le souligner. A moyen terme, nous avons en tout cas déjà acquis tous les droits des grands événements jusqu’en 2016. A part l’Euro de foot en France, pour lequel les négociations débutent à peine. Quant aux compétitions qui ont lieu en Suisse, comme Athletissima, les Swiss Indoors de tennis à Bâle ou la descente du Lauber­horn, cela devrait toujours être le cas. En revanche, le jour où Wawrinka et Federer ne joueront plus au tennis, lorsque Tom Lüthi ne pilotera plus de moto à haut niveau, ou que Simon Ammann ne sautera plus à ski, il faudra se demander s’il est pertinent de continuer d’acheter les droits de ces sports.