A ce sujet notre manuel anti-greenwashing en version pdf ici
«Bien sûr, ceux qui sont convaincus que les entreprises sont le problème verront du «coronawashing» partout», regrette Patrick Haack, professeur à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne, où il enseigne la gestion du risque, de la réputation et de la légitimité. Or, le problème, c’est la pandémie. «Si elles ne font plus rien par crainte d'être l’objet de ce type d’accusations, ce serait problématique, leur aide est précieuse», insiste-t-il.
En lien avec le cœur d’activité de l’entreprise
C’est aussi l’avis de Dorothée Baumann-Pauly, directrice du Geneva Center for Business and Human Rights de l’Université de Genève. «Le réflexe d’aider est juste», souligne-t-elle. «Mais pour que ces initiatives prennent tout leur sens, elles devraient aller au-delà de la philanthropie et être en lien avec le cœur d’activité de l’entreprise.»
Lorsque des chaînes de grands magasins (El Corte Inglés) ou des enseignes d’ameublement (Ikea) fournissent les hôpitaux en draps de lit, c’est cohérent, illustre Dorothée Baumann-Pauly. Elle cite aussi l’exemple de constructeurs automobiles (General Motors, Tesla), mis à contribution par Washington pour produire des ventilateurs entrant dans la fabrication des respirateurs nécessaires à la prise en charge des malades. Une initiative qu’a aussi prise le milliardaire James Dyson, dont l’entreprise est connue pour ses aspirateurs sans sac.
Lire également Des PME se mobilisent pour apporter leur aide dans la crise
Ce n’est que de cette façon que ces aides ponctuelles ont une chance de déboucher sur une démarche de long terme. «Cette crise, c’est l’occasion pour les entreprises de montrer de quoi elles sont capables en termes de responsabilité sociétale», affirme la chercheuse.
Etre un bon employeur, aussi
Les réponses qu’elles apportent en tant qu’employeur sont également scrutées. Obliger les salariés à venir travailler, licencier abusivement ou ne pas faire respecter les distances de sécurité sont autant de problématiques mises en avant ces dernières semaines. Des salariés d’Amazon dénoncent par exemple les conditions d’hygiène et financières auxquelles ils sont soumis. McDonald’s, avant de fermer tous ses établissements en Suisse, avait été accusé par le syndicat Unia de ne pas suffisamment protéger ses employés contre le coronavirus.
Lire également Amazon est secoué par des grèves alors qu’il veut engager à tour de bras
Ce faisant, les sociétés prennent le risque de ruiner leur culture d’entreprise, qu’elles ont mis des années à construire, et s’exposent à des difficultés à recruter à l’avenir, avertit Dorothée Baumann-Pauly. Le dommage sur la réputation dépendra aussi de l’entreprise, estime Patrick Haack: «Certaines sociétés multimilliardaires n’ont manifestement pas besoin de se séparer de collaborateurs.»
Une opportunité de redorer son image
A l’inverse, quand les discounters Lidl et Aldi promettent de verser quelques centaines de francs à leurs vendeurs en guise de remerciement, ils envoient un signal positif. «Cette notion d’équipe devrait cependant être élargie à l’ensemble des collaborateurs, y compris les temporaires. Ainsi que leurs fournisseurs. Ce qui permettrait d’inclure les travailleurs éloignés», note Dorothée Baumann-Pauly.
Dans certains cas, la crise leur offre la possibilité d’écrire une nouvelle histoire, selon Patrick Haack. A l’instar de Credit Suisse, empêtré dans un scandale de filatures de certains hauts responsables qui avait coûté sa place à son patron en début d’année: la grande banque se positionne désormais comme une institution au chevet de plus petites sociétés en octroyant les crédits-relais cautionnés par la Confédération.
Lire aussi Les prêts-relais, un sprint bancaire historique
Et saisir une opportunité ne signifie pas que l’opportunisme est la seule motivation, de l’avis des experts . Pour dissiper le doute, peut-être faudrait-il formuler clairement l’aide requise pour lutter contre la pandémie et coordonner sa gestion, comme le suggère Dorothée Baumann-Pauly. A l’instar de la lutte contre le réchauffement climatique, qui bénéficie d’objectifs et d’un agenda, fixé notamment par l’Accord de Paris. Cela fournirait une première grille de lecture pour décrypter ces nombreuses annonces.