C’est le deuxième étage de la fusée fiscale de Donald Trump. Le plan de réforme de la taxation, adopté en fin de semaine dernière par le Sénat, pourrait induire de massives réductions d’impôts pour les entreprises américaines. Et peut-être aussi favoriser le retour des multinationales établies en Suisse et dans le reste de l’Europe. Inquiétudes.

«Avec ces nouvelles réformes, les Etats-Unis se profilent comme paradis fiscal», prévient le professeur de droit fiscal Xavier Oberson. La taxation des sociétés devrait passer de 35 à 20%. Soit le plus grand choc fiscal depuis l’ère Reagan.

«C’est pas Monaco, c’est New York»

Pour comparaison: A Genève, ce même taux est à 24%, 20,95% dans le canton de Vaud (mais bientôt 13,79%) ou 15,6% à Neuchâtel. De quoi pousser les entreprises américaines établies en Suisse «à comparer les situations. On n’est pas en train de parler de Monaco ou d’une île exotique là. C’est New York, la Californie…» contraste Xavier Oberson. Hasard du calendrier? La semaine dernière le groupe californien Autodesk annonçait son intention de quitter Neuchâtel avec ses 232 employés.

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Si elle devait être acceptée, la mesure provoquerait, pour le fiscaliste Robert Danon, «une vague de distribution des profits des filiales suisses vers leur siège américain». Une transaction normalement taxée à 35% mais ce taux, en vertu des conventions fiscales entre les deux pays, pourrait être réduit à 5%, voire à 0% lorsque le siège américain dispose d’une holding en Europe.

«Une bonne nouvelle pour la Suisse» malgré tout

«La réforme exacerbe la concurrence fiscale entre les Etats. Le différentiel de taux d’imposition entre les Etats-Unis et la Suisse serait plus faible», fait valoir le professeur du Centre de politique fiscale de l’Université de Lausanne.

D’autant qu’après son échec aux urnes, la réforme sur la fiscalité des entreprises reste dans l’air en Suisse. Et le pays est contraint par l’OCDE à abandonner ses régimes fiscaux particuliers. Comme son homologue, Xavier Oberson préfère positiver: «L’annonce américaine a été un choc inattendu. Mais c’est une bonne nouvelle pour la Suisse parce qu’elle poussera à mettre sur pied la réforme PF17 et son importante baisse du taux d’imposition des sociétés.»

Des îles plus ou moins ensoleillées

La réforme américaine permettra également aux géants de la tech, les GAFA (pour Google, Apple, Facebook, Amazon), de faciliter le rapatriement de leurs bénéfices, qui pourraient revenir sous forme de dividendes taxés à un taux inférieur à 20%. Cette mesure devrait surtout concerner la comptabilité «d’îles plus ou moins ensoleillées» avec des taux d’imposition de toute façon déjà inexistants mais ne devrait guère provoquer de rapatriement des emplois ou de la productivité, pointe l’économiste Cédric Tille.

En 2005, une «exonération des profits rapatriés aux Etats-Unis n’avait abouti, par un effet de porte tournante comptable, à rien sur le plan de l’économie réelle», souligne Cédric Tille.

Robert Danon voit des conséquences plus directes pour les finances des Etats européens. «Les Etats-Unis ont toujours milité pour taxer les profits de l’économie numérique provenant de l’étranger chez eux. Plusieurs Etats européens souhaitent au contraire taxer ces profits lorsqu’ils sont réalisés sur leur territoire. Dans cet esprit de concurrence fiscal, l’aboutissement à un consensus américano-européen est plus incertain.»

Attirer les grands patrons

L’abaissement de la taxation des entreprises devrait pourtant être complété par une fiscalité très incitative pour les grands patrons. Il n’y a pas d’impôt sur la fortune aux Etats-Unis et l’impôt sur les successions sera supprimé si la réforme de Donald Trump est adoptée. «La logique est qu’on taxe à un moment donné afin d’empêcher l’accumulation de capital, analyse Xavier Oberson. En tant que grande fortune, vous vivrez beaucoup mieux aux Etats-Unis où vous ne serez imposé que sur le revenu.»

Exemple avec un riche héritier assis sur une fortune de 100 millions. A Genève, il serait taxé à 1% sur son capital et à 43% sur ses revenus. Aux Etats-Unis, il ne serait que taxé à 39,6% sur ses revenus, exemplifie le professeur de droit fiscal.

«Open bar sur le Titanic»

Pour la Suisse, le salut viendra peut-être de l’inacceptabilité politique de la réforme de Donald Trump, qui ne profitera qu’aux classes les plus aisées. La plupart des analystes s’inquiètent également d’un trou budgétaire de 1000 milliards de dollars pour l’Etat américain. Auxquels il faudrait encore ajouter les 20 000 milliards de dollars de dette publique. Dans une prise de position très critique, l’économiste Cédric Tille parle, sur son blog, d’une politique «d’open bar sur le Titanic».

L’instabilité juridique autour du mandat de Donald Trump devrait en tout cas pousser les entreprises à temporiser avant d’accepter le cadeau fiscal américain. Peut-être le temps que la réforme suisse se mette en place.

En attendant, la réforme devrait coûter, selon le TagesAnzeiger, plusieurs milliards aux banques suisses. Credit Suisse renoncerait à 2,1 milliards de francs de crédits d’impôts et UBS à 3 milliards. Toutes deux avaient obtenu des aménagements au vu de leurs pertes sur le marché américain. De quoi faire passer la première dans le rouge et diviser par quatre le bénéfice de la seconde.