Jean Gabriel Jeannot est médecin. Installé à Neuchâtel, il est aussi le créateur et le responsable de plusieurs sites internet médicaux. Il est également blogueur au Temps.

Le Temps: Que peut-on attendre du dossier électronique du patient (DEP)?

Dr Jean Gabriel Jeannot: L’idée est en soi fantastique. Mais pour l’instant, je suis plutôt critique. On parle beaucoup des aspects techniques et je ne suis pas certain qu’on pense suffisamment aux patients ainsi qu’aux professionnels de la santé qui en seront les utilisateurs.

Dans l’idéal médical, que pourrait apporter le DEP?

S’il est bien conçu, il pourrait faire progresser la médecine plus encore que n’importe quelle innovation médicale. Imaginez: le patient a enfin accès à son dossier médical! C’est un changement fondamental d’approche. Actuellement, le patient est informé de son état de santé par son médecin. Mais que retient-il vraiment? Avoir accès à son dossier lui permettra de relire son diagnostic pour bien en saisir les tenants et aboutissants. Et je suis certain que lorsqu’il aura sous les yeux le résultat de son test de cholestérol, pour prendre cet exemple, il le prendra davantage au sérieux. Pareil pour son rapport de sortie de l’hôpital. Bien sûr que la communication directe avec le corps médical est importante. Mais c’est parfois compliqué, et le médecin manque de temps. Impliqué, un patient pourra être plus actif dans la prise en charge de sa santé. Et donc adopter un comportement en conséquence. Malheureusement, on n’en est pas encore là.

Justement, que craignez-vous?

La technologie n’a jamais résolu les problèmes d’organisation. Aujourd’hui déjà, il faut parfois deux mois pour recevoir un rapport de sortie de l’hôpital. Tout simplement parce que le personnel soignant et administratif est surchargé. Or, qui va alimenter le DEP, le mettre à jour, ordonner les informations? L’informatique ne va pas résoudre ces problèmes. Et un DEP qui n’est pas rapidement actualisé perd de son intérêt. Il peut même être contre-productif si certaines données sont périmées ou si elles ne figurent pas dans le dossier.

La loi oblige les hôpitaux à introduire le dossier électronique du patient mais pas les médecins privés. Dommage ou raisonnable?

Les deux. C’est une décision sage étant donné le degré actuel de digitalisation des cabinets privés. Une étude montre que 44,8% des médecins de famille et 36,4% des spécialistes seulement ont informatisé leur cabinet. Et encore. Lorsque le médecin possède un dossier médical informatisé, cela ne signifie pas qu’il soit prêt à transmettre des données médicales au DEP, pour des raisons techniques ou par manque de temps.

Mais c’est dommage d’avoir manqué une occasion de les inciter à s’informatiser car cette exception à la loi va exclure du DEP les données des médecins en pratique ambulatoire, ce qui correspond à l’essentiel des soins. En résumé, il faut être gravement malade ou accidenté pour bénéficier d’un DEP, lequel ne sera ensuite pas forcément consulté et alimenté par le médecin traitant. Le DEP risque donc de ne pas être utile pour la médecine de tous les jours alors que c’est à ce stade qu’il pourrait être un instrument très intéressant.