Les mouvements sont incessants. Entre la double voie ferrée et le Rhin qui s’écoule en contrebas, une immense grue bleue décharge un train. Les conteneurs bleus repartent, quelques heures plus tard, le plus souvent par camion ou par barge, direction Hambourg, Rotterdam ou Bruxelles. Pour Duisbourg, premier port intérieur d’Europe, situé dans la région industrielle de la Ruhr, ce business n’est pas nouveau mais s’est nettement amplifié depuis 2014 et l’arrivée du premier train en provenance de Chine.

Depuis quatre ans, Duisbourg, cité de 480 000 habitants, est devenue le terminus d’une liaison ferroviaire, longue de 10 000 kilomètres, qui démarre à Chongqing, mégapole de 20 millions d’habitants située en Chine intérieure, et passe par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne. En mars 2014, Xi Jinping, le président chinois, avait accueilli en personne, à Duisbourg, le premier train, symbole d’une initiative étatique plus large appelée les nouvelles Routes de la soie. Dévoilée en 2013, cette stratégie du gouvernement de Pékin vise à renforcer la position du pays en Asie centrale et en Europe.

Douze jours pour parcourir 10 000 kilomètres

«Au départ, entre deux et trois trains transitaient chaque semaine entre Duisbourg et Chongqing, mais aujourd’hui nous en sommes à 25», explique Amelie Erxleben, chargée du développement à l’international de la compagnie Duisburg Intermodal Terminal (DIT). «Et cela va augmenter, croit-elle savoir. Chaque train transporte 41 conteneurs de 40 pieds et met environ 12 jours pour parcourir les 10 000 km. Cela correspond à un tiers de notre volume d’activité», ajoute Amelie Erxleben.

«Le transport ferroviaire est adapté à des produits qui doivent être vendus rapidement. Il est plus rapide que la voie maritime et s’il revient plus cher, il reste meilleur marché que l’avion. C’est donc une bonne alternative entre ces deux moyens de transport», explique cette sinologue chargée des relations avec la Chine. De l’Empire du Milieu arrivent essentiellement des composants électroniques tandis que les Européens exportent produits laitiers, aliments pour bébé, vins français mais aussi des pièces automobiles. La liaison commence en effet à intéresser de grands groupes comme le constructeur BMW.

Commerce déséquilibré

Ce commerce par voie ferrée reste toutefois déséquilibré et à l’avantage de la Chine. «Une quinzaine de trains arrivent chaque semaine de Chine contre une dizaine qui s’y rendent», constate Amelie Erxleben. «Il faut être réaliste, l’équilibre sera impossible à rétablir», concède-t-elle. A Duisbourg et en Chine, les autorités tablent sur un léger rééquilibrage de ce commerce via la diminution, à moyen terme, de la durée du trajet à sept jours, la suppression de barrières bureaucratiques et douanières et l’amélioration des infrastructures dans les pays de transit.

Markus Taube, de l’Université de Duisbourg, douche toutefois les espoirs. «Seulement 2 à 3% du commerce entre l’Europe et la Chine passera par la voie ferrée, estime-t-il. Cela reste limité.» Autre problème, la viabilité de cette liaison qui, sans subvention massive de la part du gouvernement chinois, ne serait pas rentable. Des centaines de conteneurs vides s’accumulent ainsi à Duisbourg, faute de pouvoir repartir à plein vers la Chine.

Pour la ville de Duisbourg, en pleine restructuration économique depuis la fermeture des exploitations minières dans les années 1980, ces échanges sont en revanche une véritable aubaine. Le nombre d’entreprises chinoises installées dans la ville a doublé, depuis 2014, passant de 40 à 80. «Les espoirs que nous mettons dans cette nouvelle Route de la soie ne sont pas exagérés», explique Johannes Pflug, ancien député fédéral, aujourd’hui chargé des relations entre la ville et les partenaires chinois. «Ces entreprises représentent des emplois et des rentrées fiscales et permettent à la ville de passer d’une économie basée sur l’industrie à une économie de services», se réjouit-il. La petite ville compte ainsi près de 2000 étudiants chinois, soit la plus grosse communauté d’Allemagne.