Vous êtes sortis du film Batman, The Dark Knight avec une furieuse envie de franchir la porte d'un concessionnaire Lamborghini? Ou seulement avec le sentiment que Christian Bale joue comme une savate? Dans un cas comme dans l'autre, Propaganda GEM a fait du bon travail. «Le placement réussi d'un produit au cinéma, c'est quand l'acheteur potentiel le remarque, mais qu'il passe inaperçu aux yeux des autres spectateurs», explique Ruben Igielko, l'un des codirecteurs de cette agence genevoise. Vous n'aimez pas les voitures? Vous n'avez donc vu qu'un film rasant.
C'est au début des années 90 que Ruben Igielko et Anders Granath, l'un Cubain, l'autre Suédois, fondent, dans la Genève qui les a vus grandir, une agence de placement de produits pour le cinéma et la télévision et, plus tard, pour les clips musicaux et les jeux vidéo. Depuis, l'évolution de la production et de la consommation audiovisuelle, marquée par une puissante convergence des médias, leur a donné raison. «Avec la télévision numérique et mobile, et l'internet à très haut débit, les spectateurs ont le contrôle absolu de ce qu'ils veulent regarder, à quel moment et dans quelles conditions, explique Ruben Igielko. A terme, la publicité aux alentours des émissions est condamnée. Et la communication que nous proposons, à l'intérieur du contenu, est une alternative logique.»
Un pied à Genève, l'autre à Hollywood, Propaganda aide les marques européennes à pénétrer les consciences américaines, à travers leur cinéma: «Les films sont un puissant véhicule culturel. Partout dans le monde, les gens ont vite été familiarisés aux comportements et aux habitudes de consommation américains, grâce à l'omniprésence de leur cinéma et de leur télévision. La marque Budweiser était déjà bien connue en Europe avant même de s'y exporter: c'est la bière américaine par excellence, elle était présente dans beaucoup de films - sans même chercher activement à l'être, d'ailleurs. Avec Propaganda, nous avons voulu permettre aux marques européennes de franchir l'Atlantique.»
Aujourd'hui, une quarantaine de grandes marques paient à l'année un forfait d'honoraires à cette agence genevoise pour qu'elle essaime leurs produits dans tout Hollywood. Parmi elles, Nokia est la plus ancienne et la plus fidèle des clientes. «Il y a une quinzaine d'années, Nokia est venu nous voir avec un mandat simple: il fallait voir autant de leurs téléphones dans le cinéma que dans le monde réel. Cela voulait dire 40% des parts de marché. Aujourd'hui, 80% des téléphones portables dans les films américains sont des Nokia.» Le placement de produits, c'est la conquête d'une part d'imaginaire.
Une démarche qui prend racine dans le scénario. «Nous recevons les scripts de 90% de la production hollywoodienne, environ 450 films par an, explique Ruben Igielko. Mon travail à Los Angeles est d'éplucher, avec mon équipe, ces scénarios pour repérer les potentiels de placement de nos marques. La plupart du temps, notre rôle se limite à lire «John enlève sa chemise», et à proposer à l'équipe du film une chemise de notre client Lacoste plutôt qu'une autre. Pourquoi s'en priver? Cela ne coûte que le prix du produit placé.» Les enjeux, on le comprend, ne sont pas les mêmes s'agissant du prototype d'une future Audi, comme c'était le cas dans I Robot, un film sorti en 2004. «Il arrive que nos propositions débouchent sur un petit changement de scénario, mais nos interventions restent légères.»
La valeur du placement dépend de la visibilité et du temps d'apparition du produit à l'écran. L'échelle va du niveau zéro, soit l'apparition éclair de l'objet en arrière-plan, au niveau six, lorsque l'objet permet au héros d'accomplir sa mission.
Dans tous les cas, le plus coûteux pour une marque reste la campagne de communication promotionnelle «classique» qui associe son produit au film. Ça, c'est le travail d'Anders Granath et de son équipe à Genève, qui gèrent les relations avec les entreprises clientes.
Globalement, Propaganda est une petite affaire qui se porte bien, assure Ruben Igielko. La conquête de l'Asie est déjà bien entamée, avec des bureaux à Tokyo, Shanghai, Hongkong et bientôt à Mumbai. L'agence n'est de loin pas unique sur son marché, mais elle est la seule à travailler partout dans le monde. Elle emploie quelque 80 personnes pour un chiffre d'affaires «qui n'est en tout cas pas de 63 millions de francs par année, comme l'écrivait un magazine romand il y a quelques années. C'est moins. Mais nous ne communiquons pas de chiffres.»
On peut imaginer toutes sortes de dérives et de dérivés au placement de produits tel que le pratique Propaganda. Le «placement de comportement» par exemple, pour le compte de lobbies en tout genre, écologistes, hygiénistes... Ou encore un mandat qui viserait à améliorer l'image des banques suisses, elles qui, dans les films et l'imaginaire collectif, restent d'éternels sanctuaires à crapules.
Quant aux dérives, elles sont, aujourd'hui déjà, dans la quantité: des marques toujours plus ostensibles, des placements grossiers jusque dans les dialogues... Le public, de plus en plus lucide, s'amuse désormais à compter les placements publicitaires maladroits, s'en gausse jusqu'à tuer le film. Dernier échec en date, Sex and the City.
Ruben Igielko: «En fait, dans notre domaine, nous avons plutôt intérêt à ce que les gens ne sachent pas ce que nous faisons, que la presse ne parle pas trop de nous...»