Michel Willemin est une sorte de prestidigitateur. Dans son bureau de Marin (NE), le patron de EM Microelectronic (EM) jette le même genre de regard amusé à son interlocuteur quand il lui fait tester l’une des dernières inventions sorties de ses laboratoires.

Qu’il s’agisse de la télécommande sans batterie qui fonctionne grâce à la pression du pouce, du verre qui change de couleur en fonction de la température de l’eau que l’on y verse ou du Waka Waka – un petit appareil portable qui génère du courant grâce à l’énergie solaire – l’effet est toujours le même. «Bluffant, non?» interroge Michel Willemin en connaissant déjà la réponse.

Bluffant, peut-être. Magique, certainement pas. Il s’agit d’un petit aperçu des technologies dernier cri mises au point par cette filiale méconnue de Swatch Group. Fondée en 1975 et dirigée depuis 2011 par cet enthousiaste docteur en sciences naturelles et en physique, celle que l’on surnomme EM Marin avait comme mission initiale de fournir des puces électroniques consommant un minimum d’énergie aux montres de ses sociétés sœurs. Avec les années, l’entreprise s’est diversifiée pour devenir l’un des leaders mondiaux des capteurs électroniques, de la basse consommation et, dans une moindre mesure, des affichages à cristaux liquides.

Un franc sur dix dans l’horlogerie

On retrouve sa signature dans l’horlogerie en général et chez les marques du groupe en particulier. Une céramique tactile pour Rado, une puce NFC ou un écran courbé et tactile pour Swatch, des capteurs et un système de gestion de l’énergie solaire pour Tissot, etc.

«Nos connaissances horlogères nous permettent de fournir d’autres industries, mais l’inverse est aussi possible», affirme Michel Willemin, citant l’exemple de ces capteurs ultra-performants d’abord développés pour des souris d’ordinateur et dont on retrouve certaines bribes dans la dernière Longines. La généralisation de l’électronique grand public a conduit à ce que l’industrie des garde-temps ne représente que 10% des activités d’EM.

Pour le reste, EM est partout. Les 1,5 milliard de puces et capteurs en tous genres qui sont fabriqués annuellement par ses quelque 700 employés (400 à Marin) sont nichés dans les smartphones, les cartes SIM, les réveils, les télécommandes, les clés de voiture, les fours à micro-ondes, les capsules de surbouchage de certaines bouteilles de vin haut de gamme, etc. En fait, aime à répéter le patron, la question est plutôt de savoir où EM n’est pas. «Sans le savoir, vous utilisez nos produits toute la journée. Nous sommes discrets; notre mission n’est pas d’être visible.»

De plus en plus visible

Visible, EM l’est pourtant de plus en plus. Au début du mois, sa cousine Micro Crystal (également propriété de Swatch Group) lançait avec son aide un nouveau module d’horloge additionnant les records de taille et de précision. En mars dernier, EM a annoncé la mise sur le marché de la plus petite puce Bluetooth 5.0 du monde réalisée en collaboration avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM). «Le Bluetooth est une norme qui parle au grand public, il était donc, pour une fois, facile d’expliquer ce que l’on fait, justifie Michel Willemin. En plus, ce développement qui nous a coûté des millions de francs est une petite révolution. Nous en sommes très fiers et nous voulions le faire savoir.»

Autre écho de taille pour EM: la voix de Nick Hayek, qui fait de plus en plus souvent référence à ses compétences. Le patron du groupe biennois s’amuse à rappeler que cette filiale est régulièrement pointée du doigt. Pas assez horlogère ni assez rentable, reprochent certains membres de la communauté financière, qui militent pour que Swatch Group s’en déleste. Michel Willemin leur répond: «Nous fournissons des services hautement stratégiques au groupe. Il est impensable que Swatch Group soit uniquement dépendant de fournisseurs externes pour ces technologies. Notre société n’est pas à vendre.»

Une liste d’attente pour parler smartwatches

Sans compter que les perspectives propres à EM sont réjouissantes. L’évolution de la société vers l’Internet des objets décuple les possibilités de développement de l’entreprise, qui possède déjà des filiales à Colorado Springs, à Prague et à Bangkok. L’enthousiasme récent pour les montres connectées a aussi été directement ressenti chez EM.

Tenu au secret industriel – y compris vis-à-vis de ses collègues de Swatch Group – Michel Willemin ne donnera aucun nom ni détail de ces projets horlogers concoctés avec des tiers. Mais il se souvient qu’il y avait «presque une liste d’attente de géants de l’électronique qui attendaient de pouvoir venir frapper à notre porte pour parler de smartwatches…»

La loyauté, insiste-t-il, est une règle d’or. «Lorsque l’on développe une technologie spécifique pour un client, il est hors de question de la livrer ensuite à un autre.» Si c’est pour Logitech, ce ne sera pas pour Microsoft, illustre-t-il. Et si c’était pour Apple, Samsung ou un autre fabricant de smartwatches, et que cela concernait plus directement Swatch Group? En principe, la réponse est la même. «Mais avant de s’engager avec un client, il y a bien entendu une discussion à l’interne.» Et le patron de préciser qu’il n’a «jamais eu de choix cornélien à faire autour de cette problématique».

S’émanciper des chargeurs

Swatch Group dispose donc en interne d’une force de frappe technologique qui semble faire des envieux autour de toute la planète. Pourquoi n’en a-t-il pas profité en primeur? Sans vouloir répondre à la place de son patron, Michel Willemin esquisse néanmoins quelques pistes. «La stratégie du groupe est de tout faire pour avoir un produit fabriqué en Suisse et qui ne rende pas son utilisateur esclave de ses chargeurs. Nous y travaillons, mais cela prend du temps…» C’est que la tâche n’est pas aisée. Un exemple: pour faire fonctionner un smartphone classique, il faudrait l’équivalent énergétique de 50 000 masses oscillantes présentes dans une montre mécanique.

En revanche, il rappelle que la différence de température entre un poignet et une montre électronique peut être utilisée pour la faire fonctionner, comme l’ont déjà fait – au prix fort et avec un succès mitigé – Bulova (Thermatron, en 1982) ou Seiko (Thermic, 1998). Avec la technologie actuelle, Michel Willemin note qu’une différence d’un degré suffit déjà à générer assez de puissance pour faire fonctionner de manière fiable un calibre à quartz. Bluffant? Peut-être. Magique? Certainement pas.