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Les embargos américains pourraient favoriser les places financières d'Europe

En interdisant aux entreprises étrangères actives au Soudan l'accès à leurs marchés des capitaux, les Etats-Unis tentent de dicter leur politique commerciale aux firmes européennes.

Les sanctions commerciales, cela peut faire un effet boomerang. Lundi, le Wall Street Journal invoquait les conséquences des sanctions actuellement envisagées par les Etats-Unis contre les entreprises étrangères impliquées dans la production énergétique au Soudan. Ce pays figure, au même titre que Cuba, l'Iran et la Birmanie, sur la liste noire du Département d'Etat américain. Une liste qui répertorie les Etats accusés de violation des droits de l'homme ou de soutien au terrorisme international. Le remède infligé par Washington à ces mauvais élèves est généralement une mise à l'index du commerce avec les Etats-Unis. Mais les alliés de la première puissance mondiale comprennent assez vite qu'ils sont censés leur réserver le même traitement.

C'est en juin dernier que la Chambre des représentants a élaboré un projet de loi, le «Sudan Peace Act». Liant les revenus pétroliers aux dépenses militaires du régime en place, la loi prévoit que, si une société étrangère est impliquée de près ou de loin à la construction d'oléoducs au Soudan, elle mérite d'être exclue des marchés financiers américains: il lui serait interdit de s'y financer. Par décret présidentiel, les sociétés américaines ont déjà l'interdiction de faire du commerce ou d'investir au Soudan.

La loi pourrait s'étendre à Cuba, l'Iran et la Birmanie

Si ce projet acquiert force de loi, deux grandes compagnies pétrolières se verraient exclues dans l'immédiat du New York Stock Exchange: PetroChina (Chine) et Talisman Energy (Canada). La loi pourrait s'étendre à d'autres Etats «voyous» tels que Cuba, l'Iran et la Birmanie.

Ces dispositions ne sont pas sans rappeler les lois D'Amato-Kennedy, contre l'Iran et la Libye, et Helms-Burton, contre Cuba, qui interdisent, sous peine de sanctions, à tout pays tiers d'entretenir des échanges économiques avec ces deux pays. Comme ces dernières, la loi en cours pourrait attirer les foudres de l'Union européenne. Le «Sudan Peace Act» menace en effet directement les géants franco-belges TotalFinaElf, British Petroleum, et Royal Dutch Shell. Les Etats-Unis n'en sont pas encore là. Le 15 juin, le Département d'Etat américain a exprimé son opposition à cette clause de la loi. La forme définitive de celle-ci sera encore débattue le mois prochain entre le Sénat et la Chambre, sous prétexte qu'elle interférerait avec le rôle de la Securities and Exchange Commission qui réglemente les marchés boursiers américains.

Le transfert des cotations

Mais là n'est pas vraiment la question. Il s'agit plutôt d'établir si les Etats-Unis peuvent se permettre d'exclure de leurs marchés des capitaux de puissantes firmes européennes. A voir la pression des lobbies de Wall Street et des exportateurs américains, la réponse est clairement négative. «La conséquence de cette disposition sera clairement de déplacer le financement des firmes étrangères de New York à Londres», affirmait Alan Greenspan en juillet devant un comité du Sénat. Par crainte de se voir dicter une politique commerciale, la première compagnie pétrolière russe, Lukoil, a déjà opté pour une cotation à Londres plutôt qu'à New York. Le président de la Fed a même averti qu'à long terme, cette politique punitive «pourrait nuire à la croissance potentielle américaine».

Dans une économie mondialisée, l'interdiction d'accès au marché financier américain permet juste à d'autres places financières de prendre le relais, sans pour autant freiner les investissements des compagnies concernées dans la zone interdite. Idem dans le cas de l'Iran: les Européens, qui ont la main légère en matière de sanctions globales, se rapprochent de ce pays soumis depuis 1995 à un embargo des Etats-Unis interdisant aux compagnies pétrolières américaines de travailler avec l'Iran. L'Italie, la France et l'Allemagne figurent parmi les premiers partenaires économiques de l'Iran, qui a informé lundi la «troïka européenne» de son souhait d'élargir la coopération dans les secteurs de l'économie, de l'environnement et de la lutte contre la drogue.

L'Irak, frappé d'embargo depuis le 6 août 1990, constitue un marché prometteur de 22 millions d'habitants, auquel beaucoup d'hommes d'affaires ont du mal à renoncer. Deuxième réserve pétrolière du monde, l'Irak a renforcé ses liens régionaux cette année pour aboutir, en juin, à la création d'une zone de libre-échange avec d'autres puissances économiques de la région, l'Egypte, la Syrie et la Libye.