«Nous avions sous-estimé le temps nécessaire au passage d’un prototype à une industrialisation, mais nous sommes à bout touchant», lance Margaux Peltier, directrice et cofondatrice d’Enerdrape. «Nous avons dû remanier le prototype en fonction des contraintes de production et itérer sur des détails avec notre partenaire industriel.» Enerdrape doit recevoir ses vingt premiers panneaux cet automne, fabriqués près de Milan. «Ensuite, après les derniers ajustements, nous lancerons la production en série.» Les panneaux sont en aluminium, un métal abondant et facile à recycler.
D’un autre côté, les demandes d’offres commencent à tomber. Enerdrape en a reçu une trentaine à ce jour, la plupart de clients qu’elle n’a pas démarché. Des propriétaires de parkings, dans l’immobilier ou la distribution, des fournisseurs d’énergie et des collectivités, surtout en Suisse romande. Des démarches, Enerdrape en a encore peu fait. Mais elle a gagné de nombreux prix cette année, et reçu plusieurs centaines de milliers de francs, qui lui ont valu un certain écho médiatique.
«Nous construisons une culture d’entreprise»
«C’est comme ça que les gens nous connaissent. Le Prix SUD nous a donné une certaine crédibilité, ajoute Margaux Peltier. En même temps, des clients souhaitent être les deuxièmes et non les premiers. C’est comme un cercle vicieux: ils veulent s’appuyer sur des premières réalisations et nous devons concrétiser les premiers projets de référence pour créer un effet boule de neige.»
Une première levée de fonds, de 2 millions de francs, auprès d’investisseurs suisses notamment, doit lui permettre d’avancer. «Elle devrait être signée avant la fin de l’année et nous mettre sur les bons rails en 2023», espère Margaux Peltier. L’entreprise veut gagner des forces de vente et dénicher des installateurs de panneaux dans un contexte de pénurie de chauffagistes.
Enerdrape, c’est quatre employés: Margaux Peltier, Adrien Notzon, un ingénieur en mécanique, Terence Van Thuyne, un démarcheur recruté en septembre, et Anaëlle Burnand, la chargée de communication. «Nous construisons les bases de la société, une culture d’entreprise», indique cette dernière.
Dans le cube, il y aurait de quoi stocker les vingt panneaux attendus d’Italie, si on déplace la machine à café. Ils ne mesurent après tout pas plus de 130 x 70 cm pour 2 cm d’épaisseur et pèsent une dizaine de kilos chacun. Mais pour les suivants, il va falloir trouver une solution.
«Nous en sommes au stade où la production coûte le plus cher, sans volume, sans économie d’échelle, relève Margaux Peltier. Les premiers modèles seront installés à prix coûtant.» A terme, l’usine italienne – son nom n’est pas révélé – doit cracher 2000 panneaux par jour.
Mille panneaux en 2023
Enerdrape ne cache pas ses ambitions: installer plus de mille panneaux l’an prochain, puis près de 8000 en 2024. Une deuxième levée de fonds doit alors porter des dizaines de milliers d’unités dans des parkings et des tunnels en Europe.
La crise énergétique est ici vue comme un accélérateur car la hausse des prix des hydrocarbures et le manque de sécurité d’approvisionnement rendent plus intéressante sa solution renouvelable et locale. «Les gens prennent conscience que disposer d’une seule source d’énergie pour satisfaire tous leurs besoins, ce n’est plus possible», estime Anaëlle Burnand. Enerdrape voit d’ailleurs en ses panneaux «un nouvel outil dans la boîte à outils» du mix énergétique. Ils peuvent contribuer jusqu’à 60% du chauffage d’un bien immobilier, ou à son refroidissement l’été.
En attendant, Margaux Peltier aimerait que tout puisse aller plus vite. Quelques années plus tôt, l’étudiante française menait des recherches au sein du Laboratoire de mécaniques des sols de l’EPFL avec le docteur en mécanique Alessandro Rotta Loria et le professeur Lyesse Laloui. Les panneaux qu’elle imagine alors puisent la chaleur du béton ou de l’air, ce qui chauffe l’eau à l’intérieur d’un circuit fermé de tuyaux en leur sein et alimente une pompe à chaleur. De la géothermie de faible puissance, mais sans forage. L’eau gagne ainsi environ cinq degrés, de quoi engendrer de bons rendements à la pompe à chaleur.
La chercheuse convertit ses études en une aventure entrepreneuriale et Enerdrape voit le jour en 2021. Dix panneaux sont installés dans un parking lausannois quelques mois plus tard. Le prototype a longtemps servi de référence mais désormais c’est un tremplin d’une autre envergure qui est recherché dans Le Garage de l’EPFL.