La crise énergétique va peser sur les législatives italiennes
Italie
AbonnéL’Italie était l’un des pays européens les plus dépendants du gaz russe. L’explosion des coûts de l’énergie fait plonger des familles dans la pauvreté et pourrait causer nombre de faillites d’entreprises. A Rome, la course à la diversification de l’approvisionnement s’accélère

La fontaine de Trevi à Rome ou la place du Dôme à Lecce seront-elles toujours illuminées cet automne et cet hiver? Si les trésors architecturaux italiens sont menacés de tomber dans l’obscurité en raison de pénuries d’électricité à venir, ce n’est pas la première préoccupation des Italiens à moins de trois jours des élections législatives.
Faillites en perspective
Le leader de la Lega, le populiste europhobe Matteo Salvini l’a bien compris. Récemment, pour répondre à l’angoisse des citoyens qui voient leurs factures d’électricité et de gaz exploser, il a proposé de réserver 30 milliards d’euros pour sauver les usines, les familles et les emplois. Selon un rapport de l’Observatoire italien de la pauvreté énergétique, au moins 9 millions d’Italiens risquent de tomber dans la pauvreté en raison des coûts prohibitifs de l’énergie. Dans le seul Mezzogiorno, entre 24 et 36% des familles sont concernées. L’Italie sera en récession en 2023 avec une contraction du PIB de 0,7%, selon l’agence Fitch.
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A partir d’octobre, craint-on, des millions de familles pourraient rester sans gaz à cause de l’état de crise dans lequel se trouvent de nombreuses entreprises fournisseuses d’énergie. La Confindustria, le patronat italien, met en garde contre le risque de faillites de quelque 120 000 entreprises et de 370 000 pertes d’emplois au cours du prochain semestre.
La guerre en Ukraine est, à n’en pas douter, l’éléphant dans la pièce, un facteur qui influe fortement sur la campagne électorale. L’Italie a jusqu’ici été dépendante du gaz russe. Des 72 millions de mètres cubes de gaz qu’elle importait en 2021, 40% provenaient de Russie. Le gaz alimente 50% de la production électrique italienne. C’est beaucoup plus qu’au sein de l’Union européenne (20%).
Dans le cadre du plan européen Repower EU, Bruxelles vise à réduire de 155 milliards à 55 milliards de mètres cubes le volume de gaz importé de Russie. Pour l’Italie, la difficile course à la diversification de l’approvisionnement a déjà bien commencé. Le groupe Eni a été très actif. Présent en Algérie depuis 1981, il vient d’acquérir les activités de BP, dont les deux importants champs gaziers d’In Salah et In Amenas dans le sud du pays. En juillet, Eni signait un nouveau contrat de partage de la production avec Sonatrach, Oxy et Totalenergies pour investir dans le bassin algérien de Berkine où de grandes quantités de gaz pourraient être extraites à l’avenir. L’Algérie prévoit d’augmenter les volumes de gaz exportés en Italie de 3 milliards de mètres cubes immédiatement et de 6 milliards courant 2023. A partir de 2024, l’Italie devrait pouvoir importer plus de 9 milliards de mètres cubes de gaz par le gazoduc Transmed, qui va de l’Algérie à Mazara del Vallo en Sicile en passant par la Tunisie.
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Les nouvelles sources d’approvisionnement
Sa construction ayant été longtemps bloquée en raison de préoccupations environnementales, le gazoduc TAP (Transadriatic Pipeline) est devenu opérationnel le 31 décembre 2020. L’an dernier, il a permis à l’Italie d’importer d’Azerbaïdjan 7 milliards de mètres cubes, soit un dixième de la consommation nationale. Cette année, ce volume devrait passer à 9,5 milliards. D’autres pays vont permettre à la péninsule italienne de diversifier ses sources d’approvisionnement. C’est le cas du Qatar, premier fournisseur de gaz liquéfié à l’Italie, de l’Angola, de l’Egypte, du Mozambique et des Etats-Unis. Même le Congo devrait pouvoir livrer 5 milliards de mètres cubes supplémentaires à l’horizon 2023-2024. «Le trou à combler par rapport au gaz russe se chiffre à 11 milliards de mètres cubes. Deux méthaniers devraient permettre de le faire, explique un expert de la question. Un bateau sera déjà opérationnel au printemps prochain. Et trois terminaux pour gaz liquéfié (GNL) sont déjà construits.»
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Ugo Bari, professeur d’université et membre du Club de Rome le précise au Temps: «Je suis pessimiste. Si la guerre en Ukraine ne se termine pas, nous serons dans une situation catastrophique. Acheter du gaz américain n’est pas la solution. Il coûte cinq fois plus cher. L’Europe et l’Italie étaient jusqu’ici droguées au gaz russe, bon marché. Mais celui-ci nous aurait été utile pour effectuer la transition écologique et devenir plus indépendants. On a préféré se tirer une balle dans le pied. Je crains une désindustrialisation du pays qui profitera notamment à la Chine.»
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Le gaz est en tête dans le mix énergétique italien devant le pétrole, les biocarburants, le solaire et l’éolien et enfin le charbon. Président de la Confindustria de Lecce, Nicola Delle Donne le confie: «Je regrette qu’en raison d’un moratoire, l’Italie ne puisse exploiter le gaz dans l’Adriatique. Les Croates le font. On pourrait aisément obtenir près de 10 millions de mètres cubes de gaz. Mais je suis optimiste avec les énergies renouvelables. L’éolien et le solaire se développent. Nous allons produire à terme de l’hydrogène vert en très grande quantité. Trois projets sont en phase d’élaboration à Tarente, Foggia et Brindisi.»