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Le dilemme des richesses minérales européennes

L'Europe, qui dépend de l'étranger pour accéder aux métaux essentiels à la transition énergétique, veut exploiter davantage ses ressources minières.

Mais creuser, c'est cher, ça pollue et les populations s'y opposent vite.

Tour d'horizon, du cuivre au lithium

La mine de cuivre de Lubin, en Pologne, figure parmi les principaux sites d’extraction de cuivre du monde. — © Bartek Sadowski / Getty Images
La mine de cuivre de Lubin, en Pologne, figure parmi les principaux sites d’extraction de cuivre du monde. — © Bartek Sadowski / Getty Images

Tout est calme à Norra Kärr. Les pâturages et autres fermes de ce site à 300 km à l'ouest de Stockholm pourraient illustrer des prospectus touristiques suédois. Ce cliché bucolique risque d'être bouleversé: son sous-sol riche en terres rares aiguise l'appétit des industriels. La population et les autorités locales s'y opposent, mais la construction d'une mine est proche.

Jadar, à l'ouest de la Serbie. Là aussi, la nature semble préservée. Quatre portes-conteneurs en provenance d'Australie sont pourtant en route pour y amener de quoi creuser en profondeur. Les roches du district de Mačva regorgent de jadarite, un minéral qui contient du lithium. Des voisins veulent bloquer le projet, mais il a reçu le feu vert de l'État.

Mille kilomètres au nord, à Lubin, dans la plus ancienne mine de cuivre en Pologne. Son exploitation depuis 1968 est largement acceptée et la production augmente. Ce coin de Basse-Silésie figure parmi les grands bassins cuprifères du monde.

Terres rares, lithium et cuivre figurent dans une liste de métaux jugés cruciaux par la Commission européenne et qui suscite des réactions contrastées dans le continent. Ils sont indispensables à la transition énergétique mais leur extraction, même avec les dernières techniques, porte atteinte à l'environnement. Pour respecter l'Accord de Paris, la demande de lithium devrait être multipliée par 40 d'ici à 2040, selon l'Agence internationale de l'énergie. De nombreuses autres ressources minérales suscitent un engouement similaire.

© Infographie: Pascal Erard/Source: USGS Mineral Commodity Summaries 2021
© Infographie: Pascal Erard/Source: USGS Mineral Commodity Summaries 2021

L'Europe s'approvisionne largement à l'étranger. Depuis plus d'un siècle , ses mines ont tendance à fermer leurs portes, sauf dans les matériaux de construction (calcaire, graviers, etc.). Importer, c'est moins cher. Mais la pandémie et ses restrictions ont rappelé que les chaînes logistiques étaient fragiles et qu'une dépendance envers des sources extérieures pouvait être néfaste. Une première alerte avait été donnée en 2010, quand la Chine avait suspendu ses exportations de terres rares vers le Japon. Un embargo sur les quotas d'exportation chinois a par la suite engendré une hausse fulgurante des prix, jusqu'à 10 000 % pour le dysprosium, un élément essentiel à certains alliés.

Lire aussi: Les terres rares font leur retour comme opportunité d'investissement

Partout, on cherche à être plus autonome mais, aujourd'hui, 98% des terres rares utilisées en Europe continuent de venir de Chine, selon la Commission européenne, qui accélère la recherche d'alternatives. Bruxelles lorge sur son sous-sol. Un plan d'action pour exploiter ses richesses a été lancé en septembre 2020.

Les gisements européens sont-ils riches? La population accepte-t-elle qu'on creuse chez elle? Deux questions difficiles qui seront résolues en trois volets: les projets refusés par le voisinage et le politique, ceux qui divisent mais qui avancent et ceux qui sont acceptés.

1. La société dit non

A Nora Kärr, des manifestants se sont enchaînés à des machines de forage en 2014 pour empêcher de fonctionner. Deux ans plus tard, la justice suédoise a jugé qu'une attention insuffisante avait été accordée à l'environnement et a retiré sa concession à l'entreprise qui l'avait obtenue. Mais le plan d'action européen de septembre 2020 a relancé le projet.

«C'est une occasion unique pour l'Union européenne de s'approvisionner en matériaux critiques à l'intérieur de ses frontières en respectant des normes de durabilité de premier ordre», estime la firme canadienne chargée du projet, Leading Edge Materials.

Le mois dernier, elle a fait part d'un plan d'exploitation avec un minimum de dommages sur l'environnement. Le site pourrait produire 5000 tonnes d'oxyde de terres rares par ans pendant vingt ans, dont le dysprosium, utilisé dans les aimants, et du terbium, pour les écrans d'ordinateur. Les populations voisines s'y opposent et répondent qu'on peut trouver ces éléments ailleurs, notamment si les techniques de recyclage s'améliorent.

Les terres rares regroupent 17 éléments métalliques, du néodyme au prométhium, aux propriétés magnétiques ou catalytiques uniques qui les rendent indispensables dans les technologies de pointe. Ces vitamines de l’industrie augmentent notamment les performances des technologies tout en assurant leur miniaturisation. La demande en terres rares progresse de 8 à 10% par an, mais aucune mine n’est active en Europe (sinon celle de Lovozero en Russie).

Les ressources en terres rares en Europe ont fait l’objet d’une étude du Service géologique de la France cet hiver. «Il s’avère que l’Europe et le Groenland ont un réel potentiel minier en terres rares qui pourrait subvenir aux besoins du continent pour plusieurs décennies, voire au-delà», peut-on lire. «L’Europe n’a rien à envier aux autres parties du monde et pourrait être autosuffisante.» Des gisements ont été trouvés au Groenland, en Scandinavie ou dans la péninsule Ibérique. Les techniques d’extraction et de transformation manquent par contre et il n’est pas sûr que leur exploitation soit acceptée pour des questions sociétales et environnementales, selon ses auteurs.

Un projet d’exploitation de terres rares au Groenland a par exemple été refusé à trois reprises par le gouvernement local, notamment parce qu’il induit des dépôts de déchets radioactifs, avant d’être accepté cette année.

Les exemples d’initiatives avortées, on ne les compte plus. Des manifestations ont eu lieu le mois dernier à Dublin contre un projet d’extraction d’or au nord de l’Irlande. En Suède, le groupe Boliden se bat en justice autour d’une mine de cuivre bloquée par Stockholm. Au Portugal et en Espagne, des gisements de lithium sont inexploités car la société s’y oppose.

Lire également:  «On sous-estime les richesses minières en Europe»

«On a besoin de matières premières mais est-on prêt à accepter une atteinte au paysage pour réduire notre dépendance envers la Chine? C’est une des grandes questions de la société actuellement», estime Sébastien Pilet, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne.

En 2018, 8% de la production minière mondiale (tous gisements confondus) venait d’Europe, un chiffre en baisse mais comparable à l’Amérique latine et à l’Océanie, selon les autorités autrichiennes, qui publient un rapport annuel de référence sur le sujet. Cinq pour cent des dépenses d’exploration ont lieu en Europe, selon le groupe SNL Metals & Mining. «Ça paraît peu mais, si on compare avec les autres régions (ndlr: 14% pour le Canada, 6% pour le Pérou), c’est significatif», relève Lluis Fontboté, professeur en métallogénie de l’Université de Genève. «L’épuisement des ressources métalliques est un faux problème. La Terre en contient largement assez, dit-il. Le problème, c’est de les exploiter avec un impact environnemental et social acceptable et de consentir suffisamment de moyens pour les explorer.»

2. Mécontentement populaire, mais aval des autorités

Le 27 juillet, un groupe anglo-australien, Rio Tinto, a lancé un projet d’extraction de lithium à Jadar, à ciel ouvert, devisé à 2,4 milliards de dollars. Le site serbe doit devenir en 2026 la principale mine de lithium du continent et en fournir suffisamment pour fabriquer un million de véhicules électriques. A moins que la contestation populaire ne bloque tout.

Le 29 juillet, une manifestation a eu lieu à Loznica, une cité à quelques encablures, pour dénoncer cette future pollution. Une pétition a récolté 131 000 signatures et une lettre mettant en garde contre son impact sur l’environnement a été adressée aux autorités. Mais à Belgrade, les signaux sont au vert. L’Etat vante ce moteur de croissance qui doit employer 1000 personnes.

Contraste similaire à Covas do Barroso, un village au nord du Portugal, où l’on craint une déforestation, un air impropre que pourrait engendrer un projet d’extraction de lithium. Savannah Resources, une firme londonienne qui a obtenu le droit d’exploiter un gisement, indique qu’il y a de quoi extraire 40 000 tonnes de lithium et des réserves pour quinze ans. En avril, une étude sur l’impact environnemental d’une extraction a été approuvée par Lisbonne.

«Creuser, ça a forcément un impact, mais il peut être modéré», affirme Sébastien Pilet. «Une mine proche de chez soi, c’est un contrôle sur les procédés de purification du minerai. C’est aussi moins de transport donc potentiellement moins de pollution. Réduire les importations de métaux peut être plus écologique.»

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Relevons le cas, en Autriche, du groupe australien European Lithium, qui a levé 6,5 millions de dollars en août pour produire du lithium à 270 km au sud de Vienne. Des voisins s’inquiètent pour leurs eaux souterraines, le gisement de lithium jouxtant une source. Citons aussi l’incroyable exemple de Kiruna, en Suède, la plus grande et la plus profonde (jusqu’à 2 kilomètres sous terre) mine de fer au monde. Une ville s’est érigée à côté d’un gisement exploité depuis le XIXe siècle. La mine s’est depuis agrandie, tant et si bien que les autorités se sont résolues à déplacer la cité de trois kilomètres. Le gigantesque déménagement a débuté en 2007 et doit se poursuivre pendant trois décennies, non sans tensions parmi ses 23 000 habitants.

«En général, les mines les plus acceptées en Europe sont souterraines et moins visibles, celles où il y a une tradition minière, de la place, de la confiance et où les projets sont menés avec sérieux, c’est souvent le cas en Scandinavie», estime Lluis Fontboté. «Les contestations pour des questions environnementales ne sont pas une caractéristique européenne, relève-t-il. Il est ces temps plus facile de creuser dans certaines parties de l’Europe qu’au Pérou.»

A Tara, près de Navan, en Irlande, on extrait du zinc et du plomb à 900 mètres sous terre. Le site est exploité par Boliden, qui s’est engagé cet été à exercer son activité sans émettre de carbone, en utilisant des équipements et des véhicules carburant à l’électricité ou à l’hydrogène. La firme suédoise extrait aussi du cobalt en Finlande, où se trouvent les trois mines de cobalt du continent. Une centaine de sites riches en cobalt, surtout en Scandinavie, font l’objet d’explorations, selon une étude publiée en mars par le magazine Ore Geology Reviews.

3. Des mines acceptées

A Lubin, on travaille aussi sous terre. La mine polonaise figure parmi les principaux sites d’extraction de cuivre depuis 26 ans. Le gisement sur lequel elle se trouve s’étend en Allemagne, où il est largement inexploité. Des mineurs ont fait grève dans le passé à Lubin, et dans les mines de Polkowice, Rudna et Sieroszowice. Non pas pour remettre en question cette industrie, mais pour réclamer de meilleures conditions salariales.

Le cuivre, parmi les métaux de la transition, c’est le poids lourd. En 2020, 20 millions de tonnes de cuivre ont été produites, vendues au prix moyen de 6177 dollars la tonne, soit un marché mondial de 123 milliards de dollars. La production de lithium s’est élevée à 82 000 tonnes, selon l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis. A 42 588 dollars la tonne, cela donne un total de 3,5 milliards de dollars. «On parle beaucoup de lithium et de terres rares, mais il s’agit de montants beaucoup plus petits que le cuivre», souligne Lluis Fontboté.

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«Avec la fermeture des mines en Europe, le savoir-faire et les structures réglementaires ont disparu si bien qu’aujourd’hui on ne sait plus comment creuser, il va falloir réapprendre, s’éduquer, sensibiliser la population sur l’importance des mines, développer un cadre adapté, rattraper le retard», estime Mark Simoni, chercheur tessinois au Geological Survey of Norway.

Dans la vallée du Rhin, Vulcan Energy Resources développe un projet salué par des géologues. Le groupe australien recourt à la géothermie pour faire remonter du lithium (cet élément se dissout au contact de l’eau) de nappes phréatiques souterraines sans émettre de CO2. «L’entreprise espère faire d’une pierre deux coups: elle extrait du lithium et produit de la chaleur», salue Sébastien Pilet, qui met toutefois en garde contre les défis techniques et les risques de sismicité liés à la géothermie profonde. En Islande, la géothermie fournit une électricité peu chère qui rend rentable la transformation, gourmande en énergie, de la bauxite en aluminium (jadis, c’est en Suisse, où l’électricité hydraulique a longtemps été moins chère, que cette transformation avait lieu).

Deux autres projets sont cités en exemple: le Britannique Cornish Lithium veut extraire du lithium d’eaux souterraines dans des blocs de granit des Cornouailles, où les richesses sont accessibles sans fracturation du sol. Le groupe Euro Mangenese entend exploiter les résidus d’une mine de manganèse désaffectée en République tchèque en la réhabilitant.

«L'Europe doit mieux recenser ses richesses minérales, il y a des gisements à trouver. Aujourd'hui, chaque pays en Europe a sa manière de quantifier et de recenser, aucune norme commune n'est utilisée. Il faut harmoniser au niveau européen pour qu'on y voie clair», selon Mark Simoni, qui relève que l'ONU, à Genève, propose une «Classification-cadre des Nations unies pour les ressources» comme norme internationale pour rapporter, comparer et agréger les estimations des ressources minérales.

Les pays avancés ont d'importants stocks de matériaux riches en métaux dans leurs infrastructures, des voitures à l'électronique. «L'Europe a un peu d'avance en matière de recyclage et il y a énormément de cuivre à recycler, et donc moins besoin de mines de cuivre», estime Mark Simoni.

Le Vieux Continent parviendra-t-il à réduire sa dépendance internationale et à exploiter ses richesses? Selon les géologues que nous avons consultés, la question reste ouverte.

La Suisse, un pays riche en mines pauvres

On trouve en Suisse une grande variété de ressources minérales mais en faible quantité, à une échelle où une exploitation ne fait pas sens.

Il y a bien de petits filons, surtout dans les Alpes, dans lesquels on a creusé, quelquefois depuis plus de mille ans. Mais «la Suisse est aujourd’hui plus intéressante pour les minéralogistes et les passionnés que pour les firmes qui cherchent à exploiter des gisements», selon Sébastien Pilet, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne.

Des sites, comme celui de Lengenbach, dans le Haut-Valais, ou de Mont Chemin (près de Martigny) présentent une forte concentration de minéraux. Le biotope du premier serait même unique au monde: 170 variétés de minéraux y ont été découvertes. Mont Chemin, où l'on recense notamment du fer, de l'argent, du plomb, de la fluorine et du quartz, a été exploité pendant des siècles. Une entreprise canadienne, Aurania, l'a d'ailleurs examinée il ya une dizaine d'années, sans résultat.

Richesses valaisannes

On a aussi cherché récemment du tungstène dans les vals d’Hérens et d’Anniviers, en Valais, où la roche est similaire du point de vue géologique à celle d’un site en Autriche, Mittersill, riche en tungstène. Sans succès non plus.

L'EPFZ recense trente occurrences de cobalt (des indices selon lesquels il pourrait y avoir des minéraux contenant cet élément), surtout en Valais. Une vingtaine de tonnes de minéraux de cobalt ont été extraites vers la fin du XIXe siècle dans une mine, celle de Kaltenberg, dans la vallée de Turtmann. L'histoire minière de la Suisse est riche: on ya aussi exploité de l'or, du fer, du cuivre, de l'argent, du manganèse, du zinc, du plomb, du nickel et notamment du molybdène, en plus des énergies fossile.

Lire finalement: Le dernier sursaut du charbon

Le minerai de fer est plus présent, mais son extraction ne fait de nouveau pas sens pour des raisons économiques. Une mine de fer dans le canton de Saint-Gall, Gonzen, a été exploitée pendant la Deuxième Guerre mondiale, et jusqu’en 1960, pour s’assurer un approvisionnement en la matière. Une thèse à l’EPFZ conclut qu’il ne vaut pas la peine d’extraire les quelques terres rares présentes en Suisse, à part celles issues du recyclage. Aujourd’hui, les seules ressources primaires non renouvelables exploitées en Suisse sont le calcaire, le gneiss (une roche contenant notamment du quartz), le gravier et le sel.

Le professeur de l’Université de Genève Lluis Fontboté estime que, au Tessin et dans les Grisons, des gisements d’or pourraient être rentables. Une firme grisonne, Swiss Gold Exploration, voulait d’ailleurs chercher de l’or dans la région de Surselva en 2018, selon la presse locale.

Deux pôles d'excellence

«La question de l’approvisionnement en matières premières nécessaires à la transition énergétique ne se pose pas trop pour la Suisse, car on y importe surtout des produits finis ou de l’énergie verte», relativise Kurt Morgan, directeur du Neros (Réseau matières premières minérales Suisse).

La Suisse a peu de ressources mais elle peut compter sur deux pôles d’excellence largement reconnus à l’international en matière de géologie. L’EPFZ et l’Université de Genève jouent un rôle clé à l’heure où l’Europe s’intéresse de nouveau à son sous-sol. Le réseau Neros prévoit quant à lui une exposition cet hiver au Palais fédéral consacrée aux matières premières minérales de Suisse.