En vote le 29 novembre, l’initiative «Pour des multinationales responsables» provoque un vif débat, qui excède le seul champ économique. Nous proposons une série d’articles sur cet enjeu.

Retour sur un combat démarré il y a près de dix ans: Entreprises responsables, la longue marche orange

Glencore. Dans ses romans, Tolkien n’aurait pas trouvé mieux pour nommer les forces du mal, celles qui œuvrent dans un décor de charbon, qu’on associe aux scandales du monde. L’ogre qui se cache dans nos téléphones, nos véhicules et les câbles électriques essentiels à nos modes de vie. La bête qu’on ne voit jamais mais qui est toujours là.

L’acteur clivant de la transition énergétique, qui baigne dans les minerais du renouvelable comme les hydrocarbures. Le pourvoyeur d’emplois de par le globe, qui pollue des rivières, construit des écoles, paie un minimum d’impôts. Le négociant minier sous le feu des projecteurs en 2011 par une entrée en bourse effectuée pour racheter un autre poids lourd zougois, Xstrata. Glencore est «la plus grande compagnie du monde dont vous n’avez jamais entendu parler», écrit alors l’agence Reuters. La cible favorite de l’initiative pour des multinationales responsables fait désormais couler beaucoup d’encre, mais la cerne-t-on?

Glencore. Un acronyme en réalité, pour Global Energy Commodity Resources. Par où commencer les présentations? Avec son fondateur qui lance une société à son nom, Marc Rich + Co, en 1974 en plein choc pétrolier, et qui fait aussitôt des profits grâce à des accords avec l’Iran? C’est en violant des embargos en Afrique du Sud, sous le régime de l’apartheid, qu’il signe par la suite ses contrats les plus juteux. Attaqué en justice, l’homme fuit les Etats-Unis pour la Suisse avant de recevoir la grâce présidentielle de Bill Clinton en 2001. Entre-temps, Marc Rich + Co a changé de nom et adopté celui de Glencore.

Une date clé

Avec Ivan Glasenberg, son directeur australien? L’entrée en bourse de l’entreprise fait de ce patron sportif, qui détenait 16% de ses parts, un multimilliardaire. Si bien que sa commune de résidence, Rüschlikon (ZH), bénéficie dans la foulée d’une entrée supplémentaire de 360 millions de francs et accorde une réduction d’impôts de 7% à ses 6000 habitants.

En soulignant l’importance des mines pour l’économie globale? Pour construire des panneaux solaires et des batteries, il va falloir creuser. «Si Facebook disparaît, les gens l’oublieront. Si les miniers disparaissent, le monde retourne au Moyen Age», résume un connaisseur.

Or Glencore est le plus grand producteur de cobalt. Un géant du zinc, du cuivre, du nickel, les métaux de la transition. Il est aussi le principal exportateur et négociant de charbon. En 2019, un tiers de ses bénéfices étaient liés à ses roches sédimentaires et son chiffre d’affaires de 215 milliards de dollars a largement dépassé le budget de nombreux pays.

Arrêtons-nous au 20 février 2019, une date qui restera peut-être dans les mémoires. Ce jour-là, sous la pression d’investisseurs soucieux du climat, le groupe annonce qu’il maximisera sa production de charbon à 150 millions de tonnes par an (un chiffre qu’il n’a jamais atteint depuis qu’il publie ses rapports de production). Depuis, tous les regards sont rivés sur les compteurs.

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Ils semblent d’abord donner raison aux sceptiques. En 2019, sa production de charbon augmente, à 139,5 millions de tonnes, celle de pétrole aussi. Mais les neuf premiers mois de 2020 enregistrent un recul de 20%. Un effet du covid ou du changement de cap? La question reste ouverte.

«Début 2020, les investisseurs s’attendaient à des annonces selon lesquelles Glencore réduirait son exposition au charbon, au niveau du négoce ou de la production, mais le groupe a laissé entendre que tant qu’il y aurait de l’argent à se faire dans le charbon, il continuera», indique Pedro Iglesias De La Vega, analyste de Credit Suisse. En mai, le fonds souverain norvégien a banni le suisse de ses investissements pour cette raison.

En octobre, Ivan Glasenberg a indiqué que Glencore n’allait pas remplacer les mines qu’il exploite. «Nous n’allons pas les vendre non plus car elles pourraient être rachetées par des groupes qui augmenteraient la production et les émissions de CO2.» Le groupe veut les gérer jusqu’à leur fermeture, quelquefois imminente, et investir ailleurs l’argent qu’elles généreront.

«Avant que la transition énergétique ne devienne tendance, les PowerPoint de Glencore soulignaient à quel point la demande en charbon augmentait en Asie où il y avait un vide à remplir. Désormais, ils montrent le décalage entre la production de cobalt et la demande, bien plus importante», estime Adrià Budry Carbó, enquêteur chez l’ONG Public Eye.

Les affaires congolaises

«De nombreux groupes, pétroliers notamment, doivent se transformer pour jouer un rôle dans la transition énergétique. Pas Glencore qui possède déjà beaucoup de mines de cuivre, de cobalt, de nickel ou de zinc», relève un porte-parole de Glencore.

Ce qui nous porte vers l’autre visage du groupe: celui des minerais qui n’émettent pas de CO2, mais qui soulèvent aussi une controverse.

Il y a ses affaires en République démocratique du Congo (RDC). Le groupe fait l’objet d’enquêtes, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse. On cherche à savoir comment il a pu se contenter en 2009, avec l’aide d’un intermédiaire douteux, d’un pas-de-porte de 140 millions de dollars pour exploiter des mines de cuivre et de cobalt là où il aurait dû payer 585 millions de dollars, selon les lois congolaises. Les 445 millions d’économies correspondent à près d’un sixième du budget de la RDC de l’époque.

En RDC, Glencore possède aussi la mine de Mutanda fermée temporairement à la fin de 2019. Raisons invoquées: les cours du cobalt qui chutaient, des taxes et coûts fixes jugés importants. La hausse des cours du cobalt survenue par la suite est attribuée à cette décision de fermeture. C’est dire le poids de Mutanda.

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Au sud se trouvent Nkana et Mufulira, les mines zambiennes de Mopani Copper Mines, une société largement détenue par Glencore. A leur tour d’être dans la tourmente. Le zougois annonce en avril suspendre leurs activités à cause du Covid-19, suscitant l’ire de Lusaka. Dix jours plus tard, le Wall Street Journal rapporte que l’Etat zambien veut les donner à la Chine contre un allégement de sa dette. Le 25 août, la Zambie dit vouloir devenir son actionnaire majoritaire. Glencore préfère vendre ses parts dans ces conditions, indique le surlendemain Reuters.

Entre les deux jours, le 26 août, la justice zambienne condamne Mopani à verser une amende à la famille d’un employé décédé suite à une intoxication d’acide à Mufulira. Des ONG dénoncent la pollution de l’air aux alentours de la mine et l’initiative pour des multinationales responsables s’en fait l’écho. L’usine émettait du dioxyde de soufre depuis soixante ans quand elle a été acquise en 2000; depuis, Mopani ne cesse d’investir pour contenir cette pollution, répond Glencore.

«Problème sectoriel»

Les contextes compliqués, le groupe connaît. Ses sbires savent se rendre là où les autres ne vont pas. A l’image du voyage, en Iran en 1979, d’un collègue juif de Marc Rich, Pincus Green, pour traiter avec les proches du shah. L’entreprise ne faisait alors que du négoce; ses 160 000 employés s’activent désormais presque tous sur des sites industriels.

Glencore figure au 8e rang d’un classement de 38 firmes dans un rapport de la Responsible Mining Foundation publié en 2020 qui évalue le respect des critères sociaux, environnementaux et de gouvernance. Un bon élève? Plutôt pas, selon Pierre de Pasquale, directeur des relations publiques de l’organisation: «Toutes les entreprises minières ont des notes très basses et doivent revoir leur copie, c’est un problème sectoriel», dit-il.

Glencore se soumet aux règles de transparence de la bourse de Londres, sans plus. «Ses rapports de gouvernance sociale sont invérifiables car personne ne les audite*, relève Adrià Budry Carbó. On peut aussi s'interroger sur le sort des fonds versés à la Guinée équatoriale pour y extraire du brut. Le pays des Obiang n'est pas connu pour sa bonne gouvernance.»

Alors, Glencore, paré pour l’avenir? Son titre a perdu la moitié de sa valeur en deux ans. Comme quoi, aux yeux des investisseurs, le poids du charbon et des procédures semble peser plus que sa position dans les minerais du futur.

*Ndlr: Le cabinet Deloitte les relit certes, mais sans la rigueur d'un audit financier traditionnel. Plus d'informations à ce sujet ici.