Enregistrer son fonds en sept jours
Produits financiers
Il y a six ans, la Finma lançait la «fast track», une procédure permettant de diviser la durée d’enregistrement d’un fonds de placement par dix. Une rapidité qui permet aujourd’hui de soutenir les acteurs de l’industrie des fonds de droit suisse

«En 1992, lorsque la Suisse a refusé l’entrée dans l’Espace économique européen, de nombreux fonds sont partis en direction de l’Union européenne, en particulier vers le Luxembourg.» Aujourd’hui encore, cette décision a formaté l’industrie de la finance suisse. Cela, non seulement Caroline Clemetson, avocate et associée chez Schellenberg Wittmer, l’affirme, mais tous les acteurs questionnés sur le sujet le pointent du doigt: pas moyen de vendre un fonds d’investissement de droit suisse à des clients européens. Les fonds de placement de droit helvétique se sont donc naturellement tournés vers le marché intérieur des institutionnels tels que les caisses de pension, les assurances, les clients retail suisses et les fonds immobiliers.
Pour Caroline Clemetson, les raisons ne manquent pas pour domicilier un fonds en Suisse: «Les fonds de droit suisse sont flexibles, sûrs et efficaces d’un point de vue fiscal, mais ils sont aussi difficilement exportables à l’étranger.» Le Luxembourg et l’Irlande sont devenus les places de domiciliation des fonds alors que les pays de distribution sont principalement la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suisse, là où se trouvent en définitive les investisseurs.
«On choisit de domicilier un fonds en Suisse ou dans l’Union européenne en fonction du type d’investisseur, de la zone où on désire le distribuer et de la manière dont il est régulé fiscalement», explique l’avocate. Christian Carron, CEO de Gérifonds, société de direction de fonds de placement, ajoute, quant à lui, l’importance de la réactivité de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, la Finma. «Quand le promoteur a une idée, il veut la lancer le plus vite possible. Environ 50% des investissements sont opportunistes.»
Une procédure développée en 2013
Pour faciliter l’enregistrement des fonds d’investissement de droit suisse, la Finma a développé une procédure accélérée en fin d’année 2013: la fast track. Celle-ci prend racine dans la révision de la loi sur les placements collectifs de capitaux. Depuis, «la Finma n’examine plus que les points du contrat qui sont pertinents du point de vue de la surveillance, dans le cas des placements collectifs de capitaux suisses ouverts», explique Vinzenz Mathys, porte-parole de la Finma. En contrepartie, les personnes qui soumettent la demande d’autorisation doivent remplir un formulaire détaillé et mieux préparer leur dossier.
La méthode n’est pas compliquée. La procédure d’enregistrement a été informatisée et uniformisée. Et une règle clé a été implémentée: la Finma a cinq jours pour répondre par l’affirmative ou par une ou plusieurs questions. En retour, le gestionnaire qui soumet la demande a également cinq jours pour répondre aux questions, et ainsi de suite. La procédure dans son entièreté dure au maximum trente jours.
En 2018, 117 fonds d’investissement ont profité de cette procédure, sur un total de 160 approuvés par la Finma. Leur enregistrement a pris 6,4 jours en moyenne, contre 76 jours en 2013. Les directions de fonds peuvent choisir quelle procédure adopter. Alors que la procédure d’approbation accélérée a d’abord été introduite pour les placements collectifs de type «valeurs mobilières» et «autres fonds de placement traditionnels», elle est maintenant aussi disponible pour l’enregistrement des «autres fonds de placement alternatifs» et des «immobiliers».
«Cette procédure électronique est maintenant valable pour la grande majorité des fonds de droit suisse. Même pour les alternatifs, où le délai est juste allongé de cinq à dix jours, qui peuvent maintenant être homologués via la fast track», détaille Caroline Clemetson. «Cette procédure permet d’anticiper la prévisibilité. Maintenant, quand un gérant désire lancer un fonds, il peut envisager la date de lancement avec plus d’exactitude et préparer l’opérationnel à l’avance. C’est essentiel pour le marché financier, et très positif pour la place financière suisse», se réjouit l’avocate.
Travail de l’ombre
«Aujourd’hui, on se prépare bien plus en amont. Car s’il y a trop de questions de la part de la Finma, cela peut être difficile de coordonner en cinq jours les réponses nécessaires avec le promoteur de fonds», explique Christian Carron. Le CEO, qui a fait partie des premières directions de fonds à avoir testé la fast track, est à la tête de l’une des 20 ouvertes aux tiers du pays. «On sait où ça va coincer, quels sont les détails que la Finma va regarder, sur quels thèmes du moment elle va se concentrer.»
«Ce système est optimal», affirme Pierre Berger, chargé de la gestion et du développement produits de l’Union Bancaire Privée (UBP). «Cette contrainte de temps crée une dynamique. Non seulement elle accélère la vitesse à laquelle le fonds est validé mais elle permet de rester attentif au contenu de la demande. On reste dans le bain, ce qui rend l’échange de questions-réponses plus efficace.»
L’UBP travaille avec Gérifonds, société filiale de la Banque cantonale vaudoise, qui s’occupe de la création, de la structuration, de l’administration et de la direction de fonds suisses de type mobilier, en placements traditionnels ou alternatifs. «Nous faisons tout le travail de l’ombre», explique Christian Carron. Ecriture du prospectus, démarche pour l’homologation, surveillance du gérant, administration. Toutes ces activités requièrent une équipe de juristes et d’autres experts aux compétences bien particulières. La publication de rapports semestriels et des rapports légaux relève également de la compétence de la direction de fonds.
Au-delà de l’expertise nécessaire dans ce domaine pointu, un autre facteur limite l’entrée sur le marché des directions de fonds. «Il y a une exigence de fonds propres qui dépend de la fortune sous gestion. Elle va de 1 à 20 millions de francs», explique Jean-Yves Rebord, avocat chez Python. De plus, les expertises requises, notamment sur les aspects juridiques, sont longues. Les coûts engendrés par le lancement d’un fonds demeurent donc particulièrement élevés. Pour lui, «les directions de fonds sont celles qui assurent l’essentiel des fonds propres requis par la réglementation prudentielle et qui assument la plus grande responsabilité des produits.»
Direction de fonds externalisée
A l’image de l’Union Bancaire Privée, les banques ou institutions qui veulent uniquement se concentrer sur la gestion d’actifs ou qui n’ont pas la masse critique pour posséder leur propre direction de fonds externalisent ces tâches. «Au Luxembourg, nos actifs sous gestion s’élevant à 20 milliards de francs, cela justifiait d’avoir notre propre structure pour la direction de nos fonds, explique Pierre Berger. En Suisse, en revanche, l’externalisation de cette fonction nous a semblé plus pertinente pour le volume géré, à savoir un fonds à quatre compartiments avec 550 millions d’actifs.»
A l’échelle nationale, le montant des placements collectifs de capitaux s’approche des 1200 milliards. UBS et Credit Suisse ont une part de marché de 42% à eux deux. «Avec 16 milliards, nous représentons environ 1,3% du marché, explique Christian Carron. Nous sommes le plus petit parmi les grands et le plus grand parmi les petits.» Cette philosophie a convaincu Pierre Berger de travailler avec Christian Carron. «L’UBP reste une structure familiale en comparaison internationale, qui prône l’importance de l’agilité. Nous avons besoin d’une structure souple, rapide et efficace.»
Concurrence luxembourgeoise
Autrefois à la traîne face à ses homologues européens, le gendarme du marché suisse est devenu l’un des plus efficaces. Le Luxembourg, notamment, ne rivalise plus du tout sur les délais d’enregistrement de fonds d’investissement traditionnels. Alors que l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement prétend ne pas posséder de statistiques sur la durée de la procédure, «les autorités étrangères sont bien plus lentes que la Finma», estime Caroline Clemetson. Des acteurs suisses parlent de trois à six mois.
Mais «qu’importe le délai, tant que les fonds helvétiques n’auront pas accès aux champs de distribution du marché unique, même si le marché suisse est important, ils ne peuvent concurrencer le mastodonte européen pour le retail», nuance Jean-Yves Rebord. En effet, il est presque impossible pour un fonds de droit suisse de pénétrer sur le marché européen. A l’inverse, un fonds domicilié dans un pays européen peut être commercialisé dans les autres pays s’il est muni du passeport européen.
Sur les 9902 fonds autorisés fin 2019 en Suisse, 8170 sont étrangers. Ces chiffres illustrent la facilité avec laquelle les fonds d’investissement européens sont importables sur le marché suisse. Pourtant, dans les cinq premiers promoteurs, qui se partagent 62% du marché, seul BlackRock est étranger. Car aujourd’hui, les grandes banques ou gérants de fonds suisses sont tous implantés au Luxembourg. Ils y créent les fonds et peuvent directement les distribuer et les vendre en Suisse.
Pour les petites structures, gérer une filiale au Luxembourg coûte cher. Mais le Brexit a coupé court aux discussions avec l’Union européenne sur la coopération. Car si l’Europe pose des contraintes à la Suisse, elle devra appliquer les mêmes aux Royaume-Uni.