André Klopfenstein: «La créativité ne doit pas être un but en soi»
Forward (4/8)
Les PME ont la réputation d’être moins inventives que les start-up ou même que les grandes entreprises. André Klopfenstein, codirecteur de Creaholic, société qui aide les entreprises à innover, donne aux PME des clés pour se réinventer

Découvrez tous les mardis notre série liée au forum FORWARD: «Ma PME dans 5 ans, les nouvelles dimensions de l’innovation»
Les épisodes précédents:
Les PME souffrent de la pénurie de talents qui touche la Suisse. Une des clés pour assurer leur survie et leur développement? La créativité. André Klopfenstein sera l’un des intervenants de Forward. Il est l’un des codirecteurs de Creaholic, société fondée par Elmar Mock, cocréateur de la Swatch. Installée dans une ancienne usine de savon à Bienne, elle accompagne des multinationales et des grandes entreprises dans des projets innovants et initie parallèlement des start-up. Elle compte également, dans une moindre mesure, des PME parmi ses clients. Explications.
Le Temps: En 2020, une PME doit-elle absolument être créative?
André Klopfenstein: Quatre types d’entreprises ont vraiment besoin d’innover. L’entreprise leader sur le marché, qui doit se réinventer si elle veut rester en tête. La numéro deux si elle veut devenir numéro un. Les start-up également, qui n’ont pas d’autre choix que d’être dans cette logique. Enfin, les sociétés proches de la faillite doivent se réinventer pour survivre. Mis à part ces situations particulières, une PME peut se contenter d’être une «suiveuse» sur le marché et s’avérer très heureuse. Mais il y a deux limites à cela. Ses meilleurs employés auront peut-être rapidement d’autres rêves, plus ambitieux. Et le temps pendant lequel une PME peut être à l’aise comme «suiveuse» sans risquer sa survie est beaucoup plus court qu’il y a quelques années: elle dépend davantage des changements de paradigmes que vit la société, notamment liés à l’évolution de la technologie.
Mais la créativité ne doit pas être une fin en soi. Ce qui compte, c’est que l’entreprise fonctionne, qu’elle crée de la valeur et contribue à l’amélioration de notre société. La créativité et l’innovation sont au service de ce double but. Et avoir une bonne idée ne suffit pas: il faut pouvoir aller jusqu’au bout pour mettre le concept sur le marché. C’est cette partie-là qui est la plus difficile. Il faut parvenir à être créatif tout au long du processus!
Que signifie pour vous être créatif dans une PME aujourd’hui?
Nous pouvons dégager deux axes. Il est possible de proposer des nouveautés au niveau des produits, mais les PME le font et l’ont toujours fait. La nouvelle donne est de savoir aussi se montrer créatif au niveau de l’organisation: par exemple fonctionner de façon plus transversale, cocréer davantage avec ses collaborateurs et à l’externe, et être plus transparent au sein de l’entreprise sur les salaires et les résultats financiers par exemple. Il faut trouver de nouveaux modèles de pérennisation de l’entreprise.
Avez-vous des exemples de PME créatives?
Bien sûr! Sottas, à Bulle, spécialisée dans la construction métallique, a par exemple réussi une transition générationnelle de façon très innovante, le fondateur a su se retirer et remettre l’entreprise à une génération montante encore très jeune. Dans un autre genre, Elite, manufacture suisse de matelas, a retravaillé son business model d’une manière qui me semble intelligente: la concurrence dans la vente de lits était rude. Ils ont alors très vite misé sur le numérique et les possibilités de location. Ricola, enfin, a su faire coïncider ses valeurs de durabilité et de santé avec celles de l’époque.
Comment stimulez-vous et cultivez-vous cette créativité au sein des entreprises?
Les chefs d’entreprise ont tendance à se focaliser sur un élément, en pensant par exemple que s’ils mettent en place des espaces de travail stimulants, leurs collaborateurs se montreront plus créatifs. Ce ne sera pas suffisant. Notre travail est de voir ce qui a été déjà fait et d’agir sur l’ensemble des axes de ce que Creaholic appelle «modèle de culture de l’innovation»: la stratégie, les processus, les espaces de travail, la formation et d’autres points encore. Ce qui implique également l’instauration d’une culture de l’erreur: accepter que l’on peut se tromper, mais aussi savoir arrêter un projet ou le réorienter. Implémenter une culture du feedback, qui force à agir rapidement si des problèmes sont détectés, aide aussi énormément.
Avez-vous des exemples de projets mis en place avec Creaholic?
Je ne peux pas en dire trop pour une question de confidentialité, mais nous travaillons notamment avec des opérateurs télécoms, qui se réinventent de façon subtile, par exemple en utilisant des chatbots pour simplifier certains procédés. Dans le domaine alimentaire, nous aidons beaucoup en ce moment à repenser les emballages: tout le monde veut trouver des solutions durables.
Quels sont les obstacles qui peuvent empêcher les PME d’innover?
Les PME, surtout dans le domaine de la sous-traitance, ont souvent la tête dans le guidon. Elles vivent le stress de devoir livrer des produits de qualité chaque jour et elles ont des difficultés à réfléchir au surlendemain, à prendre du recul pour voir ce qui pourrait changer. C’est pourquoi nous les aidons à créer des moments qui sont consacrés à ces questions.
Observez-vous par conséquent un manque de fantaisie sur le marché suisse?
Non. Bien sûr, les PME pourraient faire plus, mais leur force est aussi de savoir changer rapidement quand elles vont mal, comme cela a été le cas dans l’horlogerie suisse. Les PME qui sont peut-être le plus à risque sont celles qui font de la sous-traitance au service d’un grand groupe. Si elles ne diversifient pas leurs activés, elles seront sans doute toujours davantage sous pression et menacées par la concurrence. Mais il est vrai que si une société voit trop loin dans le temps et néglige ce qu’elle doit faire pour le lendemain, elle échoue. C’est une réalité. J’aimerais donc dire aux PME: continuez d’être bons, voire encore meilleurs dans ce que vous faites au quotidien, mais laissez une fenêtre ouverte pour innover.

Découvrez tous les mardis notre série liée au forum FORWARD:
«Ma PME dans 5 ans, les nouvelles dimensions de l’innovation», le mardi 3 mars 2020 à l'EPFL.
Programme et inscriptions: forward-sme.epfl.ch