Cacophonie et prix en hausse pour les livraisons des PME
Forward (5/6)
AbonnéLes ruptures sur les chaînes logistiques en Asie et la flambée des coûts du fret causent des sueurs froides à de nombreux industriels suisses. D’autant plus que la demande, de l’horlogerie aux équipements médicaux, explose. Tour d’horizon
Pandémie, inflation, guerre en Ukraine... Depuis deux ans, la force de résilience des PME suisses fascine. Peut-être parce que dans toute crise se cachent les germes de nouvelles opportunités, comme les Chinois se plaisent à le relever. Aux côtés de l'EPFL et de «PME Magazine», «Le Temps» célèbre l'entrepreneuriat, à l'occasion de FORWARD qui aura lieu le 9 juin au Swiss Convention Center.
Frustration, improvisation et attente. Ces trois mots jaillissent dans la plupart des témoignages des patrons de PME suisses que nous avons questionnés au sujet des difficultés d’approvisionnement auxquelles ils sont actuellement presque tous confrontés. Des obstacles largement dus aux restrictions sanitaires, notamment à Shanghai, et qui s’ajoutent à une liste importante de défis inédits.
«Nos entreprises membres font face à une accumulation de difficultés en même temps, entre prix des énergies et du fret en hausse, manque de personnel, franc fort et, toujours plus, rupture sur les chaînes d’approvisionnement», indique Philippe Cordonier, responsable romand de Swissmen, la faîtière de l’industrie des machines. «C’est souvent frustrant car elles peinent à honorer leurs carnets de commandes, qui se sont remplis avec la reprise durant la pandémie, à la fin de 2021.» La guerre en Ukraine et les restrictions en Chine, ce fournisseur clé, engendrent des difficultés dont on ne voit pas la fin, selon lui. «Les entreprises doivent trouver un système D pour dénicher de nouveaux fournisseurs, ajoute Philippe Cordonier. Ces dernières années, elles pouvaient souffler entre deux crises, mais là, tout vient en même temps.»
Lire aussi: Le patron de PME devenu «trader» en électricité
Ça, c’est pour le tableau général. Une prise de température auprès de cinq industriels romands montre que les défis peuvent varier d’un groupe à l’autre. «En Chine, les confinements ont surtout lieu à Shanghai. D’autres régions sont restées ouvertes, et nous avons donc pu être livrés en magnésium», indique par exemple François Tornay, le patron de SFM, la Société pour la fabrication du magnésium. «Le problème, c’est les prix du transport qui ont explosé depuis la fin de 2020 et qui restent très élevés. Nous sommes obligés de répercuter ces coûts sur nos prix.» SFM traite le métal gris depuis près d’un siècle à Martigny (VS) avant de le revendre, sous forme de copeaux ou de poudre, à des constructeurs automobiles ou aéronautiques notamment.
«Situation archi-tendue»
«Les délais sont rallongés, surtout pour les composants électriques et électroniques d’Asie, que ce soit dans nos sites en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Je ne compte plus les téléphones avec les fournisseurs pour faire le point sur les livraisons, au jour le jour», indique de son côté Gilbert Lile, le patron de LNS Group, un fabricant de machines jurassien. «Ça fait depuis l’été dernier que ça dure et ça s’est aggravé cette année. On voit un début de lumière au bout du tunnel, avec la fin des restrictions à Shanghai, mais ça va prendre des mois à se résorber.»
Lire aussi: Comment rester innovant face aux crises
«Pour l’instant, on tient, mais la situation est archi-tendue au niveau de l’approvisionnement, même des grands fournisseurs. On doit se battre pour continuer à produire, d’autant plus que la demande est importante actuellement», confirme Olivier Haegeli, le directeur de Willemin-Macodel, une entreprise jurassienne spécialisée dans les solutions d’usinage pour les marchés horlogers, médicaux et joailliers. «L’inflation est galopante et on n’en voit pas le bout. Des offres de fournisseurs ont été valables huit heures, avant d’être revues à la hausse.»
«Nous produisons des machines en Valais et dans une usine vers Ningbo, en Chine. Nous faisons transporter beaucoup de matériel entre les deux sites, par conteneurs sur bateau. En temps normal, ça prend sept semaines, mais là il faut en compter entre dix et onze, si on trouve un conteneur, et les prix ont quadruplé. Nous avons essayé des transports par train, sur la nouvelle Route de la soie, mais tout est bloqué depuis la guerre en Ukraine», indique Pierre-Yves Bonvin, patron de la PME valaisanne Steiger. «Nos machines sont composées de 30 000 pièces. S’il en manque une, la livraison est bloquée. Pour les pièces électroniques qui manquent, il nous arrive de payer le prix entre 10 et 15 fois plus cher sur le marché gris, mais au moins nous pouvons livrer.»
Des bouteilles de bière jusqu’au chlore
«Les temps d’attente s’allongent, mais c’est surtout dû au fait que la demande atteint de nouveaux records dans l’horlogerie», relève pour sa part Pierre Dubois, le patron du sous-traitant horloger vaudois Dubois Dépraz. «Si nous peinons à honorer notre carnet de commandes très rempli, c’est surtout parce qu’il nous manque entre 15 et 20 personnes.» Sur les premiers mois de l’année, les exportations de montres surpassent les niveaux de 2021, supérieurs à ceux de 2019, l’année de référence avant une baisse, temporaire, due au covid, en 2020.
Lire encore: Comment les PME peuvent se protéger des cyberattaques
Les prix du fret par conteneurs ont quadruplé depuis 2019, surtout sur les grandes routes commerciales, selon le cabinet McKinsey. Partout on fait état de manque même si la situation semble se décanter à Shanghai. Au Royaume-Uni les bouteilles de bière se font rares, outre-Atlantique le chlore pour traiter l’eau des piscines fait défaut, et à Genève le fabricant de capteurs LEM anticipe que les difficultés d’approvisionnement vont engendrer une baisse de ses ventes ces prochains mois.
Ces dernières décennies, une confiance excessive envers la mondialisation a engendré un système de production et de distribution mondial trop concentré et sans réelles roues de secours, selon Will Hutton, un chroniqueur du Guardian. Un peu partout, des témoignages font état d’une situation qui va générer un tournant dans l’histoire de la mondialisation, vers des circuits courts, ou moins longs, et une diversification des fournisseurs qui, si elle se confirme, prendra des années à se mettre en place.