Contrôler les notes de frais du président: les bonnes feuilles du prochain livre de Dominique Alain Freymond
gouvernance d'entreprise
AbonnéBONNES FEUILLES, EPISODE 2. Comment gérer les notes de frais dans les hautes sphères d’une entreprise? La question s’était invitée dans le procès de l’ancien directeur d’une importante banque en 2022, rappelant qu’elle ne doit pas être prise à la légère

D'IBM à la chancellerie du canton de Vaud, Dominique Alain Freymond a mené une riche carrière dans l'économie privée, avant de s'orienter au début du siècle dans la gouvernance d'entreprise. Après avoir opéré dans une trentaine de conseils d'administration en tant qu'administrateur indépendant, il publie en mars sux Editions Château & Attinger «Gouvernance d'entreprise, l'envers du décor en 100 anecdotes», un livre dont Le Temps vous fait découvrir chaque jeudi un extrait.
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Résumé
Le président de la direction générale, puis du conseil d’administration, a fait de grosses dépenses, dans des restaurants, cabarets et pour des voyages, qui lui seront intégralement remboursées sous forme de notes de frais. La justice, suivie par les médias, s’empare de l’affaire et il sera finalement condamné pour gestion déloyale par métier, abus de confiance, faux dans les titres ainsi que pour d’autres délits. Mais est-ce que le conseil d’administration pourrait aussi avoir une part de responsabilité dans cette situation?
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Anecdote
Au fil des années, sous la direction d’Ivan*, la banque s’est hissée parmi les plus importants établissements financiers du pays. Quant à lui, il est devenu une personnalité reconnue dans le monde de la finance. Au moment de prendre sa retraite, il réussit à accéder à la présidence du conseil d’administration et à faire nommer son ancien bras droit comme directeur. Dans les bonnes pratiques de gouvernance, une telle situation n’est pas recommandée. Elle crée une situation complexe. Par habitude, le président risque de trop se mêler de l’opérationnel et de persister dans certaines pratiques. Quant au nouveau directeur, sa marge de manœuvre est limitée car il est redevable de sa situation au président, une manière pour ce dernier de continuer à contrôler la situation.
En principe, le remboursement des frais obéit à des règles fixées dans un règlement spécifique. Parfois, un code d’éthique dans les affaires clarifie aussi le comportement à adopter dans les relations avec les clients et ses limites. Enfin, pour des raisons évidentes, toute note de frais doit être signée par la personne responsable et par son supérieur hiérarchique. L’usage veut aussi que la personne occupant le rang hiérarchique le plus élevé prenne en charge des frais pour ensuite se les faire rembourser. Quant à ceux du président, ils seront aussi contresignés par le vice-président ou le président du comité des finances.
Aucun paiement n’est effectué sans passer par le département comptable, qui vérifie les pièces fournies et la légitimité du remboursement. Enfin, dans la liste des thèmes annuels proposés par la révision au conseil, se trouve souvent le contrôle des notes de frais.
Dans un établissement d’importance nationale, il est fort probable que les remboursements en faveur d’Ivan soient passés entre les mains de plusieurs personnes, dont la révision interne. Même si certains frais étaient pudiquement qualifiés de «repas clients», il semble difficile de dissimuler des dépenses de plusieurs centaines de milliers de francs.
Il semble bien que les notes de frais d’Ivan aient été contrôlées et approuvées par le président du conseil. Examinons alors quelques hypothèses: est-ce que l’administration a suivi les yeux fermés? Est-ce que le président aurait fait preuve de naïveté en croyant aux libellés parfois trop simplistes des frais? Ou peut-être n’a-t-il pas souhaité confronter un directeur, devenu une star de la finance, à des pratiques discutables? Ou, dernière hypothèse, a-t-on fermé les yeux sur ce comportement, considérant que cela faisait partie du monde des affaires, au-delà de toute considération morale?
Quelques pistes de réflexion
Ivan s’est retrouvé dans une course au succès en se comparant avec le directeur d’un établissement similaire. C’était à qui atteindrait le sommet de la gloire. Il estime être devenu le meilleur et son succès l’a peut-être grisé. Lorsque l’ego enfle, la personne a l’impression d’être intouchable et c’est dans ces circonstances qu’elle commet des erreurs, dont certaines deviennent impardonnables.
Cependant, le conseil a aussi l’obligation de faire son autoanalyse et de se demander s’il a entièrement assumé son rôle de haute surveillance, à commencer par le président. Peut-être a-t-il lui aussi négligé certaines procédures internes et quelques règles éthiques?
Rappelons quand même que les membres du conseil, ainsi que de la direction, doivent exercer leurs attributions avec toute la diligence nécessaire et veiller fidèlement aux intérêts de la société (art. 717 CO al. 1). Et la société est tenue de répondre des actes illicites commis dans la gestion de ses affaires (art. 722 CO).
* Prénom d'emprunt.
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