D'IBM à la chancellerie du canton de Vaud, Dominique Alain Freymond a mené une riche carrière dans l'économie privée, avant de s'orienter au début du siècle dans la gouvernance d'entreprise. Après avoir opéré dans une trentaine de conseils d'administration en tant qu'administrateur indépendant, il publie en mars sux Editions Château & Attinger «Gouvernance d'entreprise, l'envers du décor en 100 anecdotes», un livre dont «Le Temps» vous fait découvrir chaque jeudi un extrait.

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Résumé

L’entreprise a la taille nécessaire pour disposer d’un responsable des risques à plein temps, un chief risk officer (CRO). Ce dernier présente au minimum une fois par an son rapport sur l’ensemble des risques connus. C’est un document fort complet, basé sur un impressionnant fichier Excel. Sur la base d’une analyse de l’occurrence et de l’impact potentiel de chaque risque, il permet de déterminer le montant total en jeu, et ceci au franc près. Mais comment s’assurer que tous les risques ont bien été pris en considération?

Anecdote

La présentation des risques devant le conseil est un exercice obligatoire, répétitif et fastidieux. Le président, Hugues, le constate au vu du peu de questions posées et surtout de la confiance presque aveugle accordée à Cyrille, le CRO compétent et professionnel.

Les risques opérationnels internes sont bien connus, décrits en détail, ainsi que les mesures préventives mises en place. Certains éléments externes peuvent amener à une adaptation ou une remise en cause de la stratégie. Des aspects comme les taux de change et le prix des matières premières peuvent exercer une influence déterminante sur le futur de l’entreprise. Ils sont identifiés et suivis régulièrement par une unité d’affaires qui pratique une veille afin d’informer immédiatement les organes dirigeants du dépassement des seuils limites fixés. Un tableau de bord résumant la situation donne une vue d’ensemble.

Hugues se souvient du choc créé le 15 janvier 2015 par la décision de la Banque nationale suisse (BNS) de ne plus soutenir le franc suisse face à l’euro. Tout le monde savait que la BNS ne pourrait pas indéfiniment maintenir un taux à 1 franc 20… Mais, par excès d’optimisme ou aveuglé par un biais de confirmation, l’arrêt prévisible de cette politique n’a pas été considéré dans l’analyse des risques…

Le président souhaite changer l’approche des risques et propose à Frédéric, consultant externe, de stimuler le Conseil dans ses réflexions. Dans le cadre d’un séminaire, ce dernier rappelle les fondamentaux de la gestion des risques, l’utilité d’une matrice des risques, le calcul du risque brut puis du risque résiduel basé sur les mesures préventives mises en place. Puis il insiste sur la différence entre risque opérationnel et risque stratégique ainsi que sur les différentes catégories de risques (identifiables et quantifiables, identifiables et uniquement qualitatifs et non identifiables).

Après la théorie, il propose un simple exercice. Il demande à chacun de rédiger sur une fiche les trois risques qu’il considère comme majeurs pour l’entreprise. Les 27 réponses sont ensuite organisées selon les thèmes. Sans surprise, quelques aspects forts émergent: gestion des liquidités, investissements erronés, panne de courant à large échelle, cyberattaque, etc. Mais certains risques au plus haut niveau de l’entreprise n’ont pas été pris en considération. Ils concernent avant tout les conflits de personnes en place et les changements des personnes clés.

La dynamique de groupe, les relations de confiance et la communication entre les personnes clés des actionnaires, du conseil d’administration et de la direction générale peuvent évoluer négativement et créer une situation de crise. De même, une succession mal préparée, un changement d’actionnaire mal planifié ou le remplacement simultané de plusieurs membres du conseil ou de la direction peuvent amener à une remise en cause des éléments fondamentaux de l’entreprise. Enfin, la disparition du président, du directeur général ou d’une autre personne importante peut priver momentanément la société d’une capacité à décider si la gestion des successions et de la relève n’a pas été bien préparée.

La suite du séminaire a permis de thématiser certains aspects particuliers, comme d’éventuelles disputes entre actionnaires pouvant changer des rapports de force.

Quelques pistes de réflexion

Le conseil doit trouver le bon arbitrage entre l’appétit et l’aversion aux risques de la direction, des administrateurs mais aussi des actionnaires. Prendre des risques fait partie intégrante de la posture d’entrepreneur. Cependant, il faut aussi se protéger de certains risques et en accepter d’autres, tout en restant respectant les exigences légales et réglementaires. L’alignement de la direction et du conseil d’administration par rapport à ces choix est important.

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