Pourquoi Caran d’Ache, Serbeco ou encore la Cave de Genève ont-elles séduit le jury du premier Prix SVC Genève? Tous les mardis, «Le Temps», partenaire de cette initiative, vous fait découvrir une facette inspirante des six finalistes de cette première édition dont le lauréat sera connu le 4 novembre. 

Sur le plateau de La Donzelle, au nord-ouest de Genève, les vignes s’étendent à perte de vue. Généreux en cette fin septembre, le soleil offre un panorama grandiose sur le Salève, les Alpes, mais aussi le massif jurassien. Celui-ci se dresse à quelques encablures du vignoble de Patrick Duvernay, l’un des 65 producteurs-vignerons de la Cave de Genève, basée à une dizaine de kilomètres de là, à Satigny.

Quelques enjambées nous mèneraient en France. Mais ce qui nous intéresse se trouve bien sur sol helvétique: un arpent de vigne de la taille d’un terrain de football qui surplombe l’arrière-pays genevois. Des centaines de grappes de raisin rouge qui attendent d’être vendangées et que rien ne distingue des autres, en tout cas aux yeux du profane.

Quinze années de recherche

Le fin connaisseur identifiera, lui, le divico. Son regard exercé notera aussi qu’en cette «annus horribilis» des vignerons, aucun grain n’a été endommagé par le mildiou, ce champignon qui a pourtant ravagé les cultures plus traditionnelles cet été. «C’est vrai que l’année a été compliquée, même si nous nous en sortons mieux que dans d’autres régions du pays», observe le propriétaire des lieux. Comme chaque lundi, il vient de prélever 100 grains de divico pour les transmettre à son œnologue. Celui-ci sonnera le coup d’envoi de la récolte lorsqu’il jugera le taux de sucre et l’indice de maturité idéaux. La qualité de la cinquième cuvée de ce nectar chez les Duvernay reste à établir. Mais il est d’ores et déjà clair que les pertes seront moins importantes que pour des cépages traditionnels comme le pinot noir, le cabernet sauvignon ou le merlot.

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Une certitude qui ne surprend pas Jean-Laurent Spring. Chercheur chez Agroscope, centre de compétences national d’agriculture et d’agronomie, il est à l’origine de cette innovation viticole. Joint par téléphone alors qu’il est en train de vendanger en Valais, il préfère toutefois le terme d’entremetteur à celui de géniteur. Il est vrai que l’identité des parents du divico est parfaitement connue: «Le croisement dont est issu le divico date de 1997. Nous avons choisi le bronner, un cépage de l’institut de Fribourg-en-Brisgau, qui a apporté la résistance au mildiou et à l’oïdium. Nous l’avons croisé avec du gamaret qui, lui, résiste bien à la pourriture du raisin.»

Moins de traitements

Aucune manipulation génétique pour obtenir ce nouveau cépage. Plutôt du déterminisme qu’un puissant algorithme de l’application de rencontre Tinder ne renierait pas: «C’est de la sexualité classique, un croisement entre un papa et une maman qui ont des enfants, image en riant le chercheur. Ensuite, on va trier au sein de cette progéniture ceux qui ont la résistance et les aptitudes agronomiques et œnologiques intéressantes.» Le processus dure de 15 à 20 ans, raison pour laquelle il faudra attendre 2013 pour que le divico soit cultivé à grande échelle en Suisse. Portant le nom d’un chef de guerre helvète connu pour avoir mené la vie dure aux Romains, le nouveau venu dispose de son pendant blanc, le divona. Dans les vignes suisses, il représente aujourd’hui le cépage dit résistant le plus utilisé.

«L’objectif de base, c’était la lutte contre les maladies», rappelle Jean-Laurent Spring, relevant que 80% des intrants phytosanitaires utilisés par la viticulture sont des fongicides liés à lutte contre le mildiou et l’oïdium. Le but semble atteint: «Cette année, je n’ai fait que deux sulfatages sur ce plan-là, alors qu’il faut en compter une dizaine en moyenne pour du raisin traditionnel», observe Patrick Duvernay. Sulfaté au cuivre, le raisin bio nécessite aussi de 10 à 15 passages par année.

«Ce n’est pas juste un nouveau cépage, car il existe une vraie demande pour des produits qui subissent moins d’interventions, enchaîne Jérôme Leupin, directeur de la Cave de Genève, finaliste du premier Prix Swiss Venture Club Genève, dont Le Temps est partenaire. C’est pour cela qu’il faut aussi raconter l’histoire du divico. Il y a un immense travail de communication à faire.»

Un vin «intéressant»

En charge de la vinification et de la commercialisation de la production de ses vignerons actionnaires, c’est à son entreprise que revient la tâche de «créer la demande» pour ce nouveau vin. Pour l’heure, il est surtout écoulé en vente directe. Aux œnologues de la Cave de Genève aussi de mettre au point les meilleures méthodes de vinification pour le mettre en valeur.

«Les autres cépages ont une histoire plus que millénaire sous nos latitudes. Là, nous n’avons que quelques années derrière nous. Il y a une énorme marge de progression», souligne Jérôme Leupin. Au fil des essais, la vinification en barrique s’est par exemple révélée particulièrement intéressante, relève Jean-Laurent Spring, qui tente une description de son bébé: «Puissant, corsé et doté d’arômes de fruits noirs et d’épices, il est assez proche du gamaret, mais avec une plus grande richesse en tanins et en couleur. Il a une personnalité qui lui permet d’être valorisé pour lui-même, son vin est également intéressant pour des assemblages.»

Lorsqu’il a goûté pour la première fois ce nectar, en 2015, Patrick Duvernay l’a jugé «intéressant». Assez en tout cas pour qu’il se lance dans sa production deux ans plus tard. Un choix auquel l’histoire semble donner raison.


La Cave de Genève, trait d’union entre le consommateur et les vignerons

«Un vigneron tout seul pense à la première personne. La Cave de Genève, c’est: «Qu’est-ce que nous faisons?» résume Patrick Duvernay, administrateur de l’entreprise. C’est cet état d’esprit qui poussa en 1929 une cinquantaine de vignerons de la région Arve et Lac à créer une coopérative de production.

La structure juridique existe toujours et livre le raisin de 65 producteurs à la Cave de Genève. Créée en 1994, celle-ci a pour mission de vinifier la production de ses actionnaires-vignerons, auxquels s’ajoutent quelques collectivités publiques. Pour ce faire, cette PME qui emploie une vingtaine de personnes à Satigny s’appuie sur le talent de ses œnologues, mais également sur des installations dernier cri.

«Depuis les vignes jusqu’à la mise en bouteille, la technologie joue un rôle très important, souligne Jérôme Leupin, à la tête de la Cave de Genève depuis 2017. En utilisant les meilleurs outils à chaque étape, vous arrivez à assurer une qualité continue.» Car au final, tous les vins que va commercialiser la Cave de Genève portent l’emblème de cette dernière.

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