Josep Castellet, les peaux dans la peau
Portrait
Le Catalan «plus Suisse qu’un Suisse» dirige Pomoca depuis 2011. La PME vaudoise, premier fabricant mondial de peaux de phoque, va voir ses ventes presque doubler cette année. Un défi professionnel et un tracas personnel à la fois

Plutôt collants-pipette que rando freeride. Josep Castellet l’avoue sans détour. Sa pratique du ski de randonnée à lui s’est toujours orientée vers l’efficacité et la vitesse d’ascension. En 1984, déjà, à l’âge de 14 ans, il participait à ses premières compétitions dans les Pyrénées catalanes, à deux heures de route de sa maison familiale de Barcelone, dans laquelle il a rapporté «quelques médailles».
Mais ce goût du chronomètre, il l’a peu à peu perdu. Ce, même si sa vie est aujourd’hui bien remplie. Côté privé, l’éducation de ses trois jeunes enfants lui impose des sorties rapides de quelques heures, en général avant le petit-déjeuner familial, durant les week-ends qu’il passe dans son logement de vacances aux Mosses (VD).
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Côté professionnel, il est le patron de Pomoca, le numéro un mondial de la peau de phoque. Portée par la démocratisation de ce sport, elle-même propulsée par la pandémie, les confinements et les fermetures de stations, la PME installée à Denges (VD) connaît une croissance fulgurante. En 2020, le chiffre d’affaires de Pomoca a progressé de 15%. On serait tenté de dire «seulement». Mais c’est parce que les commandes pour l’hiver suivant sont réalisées jusqu’en avril. C’est donc maintenant, en cette fin de saison 2020/2021, que l’image est complète.
Un désordre organisé
Le résultat? Une croissance attendue de 85% du chiffre d’affaires, à environ 15 millions de francs. En janvier, les prévisions ne tablaient encore que sur un +20%. En février, sur un +40%. Alors, avec des ventes qui vont finir par doubler, cela devenait une certitude: «Nous avons acheté une deuxième machine de découpe au laser, et avons loué une halle pour l’installer, il n’y a pas assez de place ici.»
Les activités de Pomoca, en effet, se déroulent dans un désordre organisé. Dans la halle de fabrication, imprégnée par l’odeur de brûlure des peaux fraîchement découpées, une dizaine de personnes s’emploient à la seconde partie de la production. Car la première, et notamment le tissage du mohair issu de la laine de la chèvre angora, est réalisée par des sous-traitants en Europe. Cette année, ils livreront ici quelque 100 000 mètres de rouleaux.
Cette promiscuité va prendre fin en 2023. L’entreprise se trouve à quelques étapes administratives d’acquérir un terrain à Chavornay, où sera érigé son nouveau site d’une surface de 3000 m2. En attendant, c’est à Denges, dans cette usine en tôle placée en contrebas d’une route que tout se concentre.
Ma prudence financière, mon humilité et ma volonté de ne pas vendre la peau de l’ours [sic] viennent de Catalogne et ont été renforcées en Suisse
Mais tous les processus qui s’y déroulent, Josep Castellet les a déjà détaillés à maintes reprises à des journalistes. C’est qu’après avoir frôlé la disparition en 2003, Pomoca est devenue une PME populaire. «On est un peu un exemple, dit-il avec le recul. Une entreprise familiale, industrielle, vaudoise, active dans le sport et qui a des collaborations avec l’EPFL.»
Ce tissu régional, Josep Castellet le connaît très bien. Né en Catalogne en 1970 de parents mathématiciens, il a grandi à Zurich avant de retourner à Barcelone à 6 ans, puis d’y grandir et d’y faire ses écoles et ses études d’économie internationale. Il revient en Suisse en 2009 et prend la direction de Pomoca en 2011, lorsqu’elle est rachetée par le groupe italien Oberalp (Salewa, Dynafit, Wild Country, Evolv, LaMunt).
«Je suis sans doute plus Suisse qu’un Suisse, sourit-il. Ma prudence financière, mon humilité et ma volonté de ne pas vendre la peau de l’ours [sic] viennent de Catalogne et ont été renforcées ici.» Ces allers-retours ne l’ont pas empêché de gravir des sommets au Pérou, dans l’Himalaya ou à Chamonix, où il a aussi pratiqué, entre autres, le parapente et l’escalade de glace.
Des peaux roses
Sur les skis, Josep Castellet a participé à des courses renommées: la Patrouille des glaciers, la Pierra Menta, le Tour du Rutor… Mais il n’a pas le palmarès de certains des ambassadeurs de la marque. «Nos peaux sont championnes du monde de ski-alpinisme. Toutefois, ce qui fait vivre Pomoca, ce n’est pas la compétition mais la quête de nature et de liberté de nos clients.»
Plus qu’un chrono en ski-alpinisme, c’est donc surtout lorsque Jérémie Heitz, le Valaisan devenu icône du ski de pente raide, poste une photo de ses peaux sur les réseaux sociaux que Pomoca en ressent les effets sur ses ventes. «Les gens veulent des peaux roses, comme lui…», glisse Josep Castellet avec un brin de désarroi.
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Il est évidemment fier de constater que les affaires sont florissantes, de dépasser en 2021 des objectifs de vente qui étaient envisagés pour 2025. Mais sur le plan personnel, il s’inquiète pour l’avenir d’un sport qu’il pratique depuis trente ans. Sa démocratisation, cette hype augure des problèmes de sécurité en montagne, de manque d’expérience et/ou de comportements inadaptés d’un point de vue environnemental. Josep Castellet ne veut pas donner de leçons, mais il sait que «tout ce qui est exponentiel induit des erreurs dont les conséquences le sont aussi».
S’il a changé sa façon de faire des sorties à peau, Josep Castellet possède quand même plusieurs paires de ski de randonnée. Ses lattes préférées, elles mesurent 65 mm au patin – la largeur du ski sous la chaussure. Les initiés noteront que 65 mm, ce n’est vraiment pas beaucoup. Que c’est adapté aux collants-pipette visant la légèreté à la montée, pas pour faire de jolies traces dans la poudreuse à la descente.
Profil
1970 Naissance à Barcelone.
1971 Déménagement à Zurich avec ses parents. Retour à Barcelone en 1976.
1993 Diplôme en économie internationale et première de ses trois Patrouilles des glaciers en 1996, avant 2006 puis 2016.
2009 Retour en Suisse, devient patron de Pomoca deux ans plus tard, lorsqu'elle est rachetée par le groupe Oberalp.
2023 Déménagement prévu de Pomoca à Chavornay.
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