Une PME suisse veut réduire l’empreinte écologique du démaquillage
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Sa PME fait briller les montres suisses depuis trente ans. La Biennoise Babette Keller a mis à profit son savoir-faire pour concevoir un gant qui permet un démaquillage sans produits chimiques

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Pour sa nouvelle création, Babette Keller annonce la couleur d’entrée de jeu: «Je veux le monde!» Une conviction se tapit derrière l’ambition de la lauréate 2009 du Prix Veuve Cliquot de la femme d’affaires, celle de concentrer dans son produit une réponse à des enjeux capitaux. Et pour étayer le propos, elle brandit une corbeille remplie de disques de coton: «C’est ce qu’une femme utilise chaque année pour se démaquiller. Il faut faire cesser cette catastrophe écologique.»
La prise de conscience de Babette Keller remonte à l’année où elle obtient son prix, il y a dix ans. Cette Biennoise qui a réussi à assouvir sa passion pour la couture en créant des serviettes de microfibres pour le monde de l’horlogerie commence à se montrer beaucoup plus regardante sur la filière des matières qu’elle utilise. Elle décide de se détourner complètement du coton, dont elle juge la production trop polluante, pour se concentrer sur le polyester et le nylon. Dans la foulée, elle développe des eaux de nettoyage naturelles pour la joaillerie.
La migraine du «patron»
Mais c’est d’une douloureuse épreuve personnelle que jaillira l’étincelle à l’origine de son innovation. Celle qui a fondé en 1991 la société Keller Trading est touchée par une maladie rare, l’algie vasculaire de la face. Surnommée la «migraine du patron», celle-ci se caractérise par des douleurs intenses sur la moitié du visage. «La souffrance est telle qu’on l’assimile à l’arrachage d’un membre sans anesthésie», raconte Babette Keller, qui subira jusqu’à cinq crises de 50 minutes par jour. Autre effet collatéral de ce mal, l’œil et le nez coulent abondamment, rendant notamment le démaquillage problématique. «J’ai commencé à réfléchir à une solution qui ne nécessiterait pas le recours à des produits chimiques.»
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«Dans ma vie, j’ai toujours fait», confie-t-elle. Entrepreneuse dans l’âme, elle se lance alors dans ses recherches: «J’ai répliqué le savoir-faire acquis pour les montres sur ce gant de démaquillage.» Tout naturellement, elle se tourne vers le producteur coréen qui lui fournit la microfibre qu’elle utilise pour ses produits à destination du marché horloger. Elle fonde en 2015 une deuxième entreprise – KT Home –, trouve des investisseurs privés et met au point le gant KT Care composé de milliers de microfilaments. Tricotés, ceux-ci vont se charger de capturer rouge à lèvres, fard à paupières et mascara avec de l’eau pour seule assistance.
Au passage, elle réussit à maîtriser ses violentes céphalées. Là où les traitements médicaux modernes restent impuissants, le recours à la médecine alternative lui permet de réduire ces terribles attaques à quelques-unes par année.
Viser les générations numériques
La voici donc, radieuse, exhibant fièrement la gamme de gants qu’elle commercialise discrètement depuis environ deux ans. Au bénéfice d’une exclusivité d’utilisation au niveau mondial, elle va passer la vitesse supérieure en 2020 avec comme objectif la commercialisation d’un million de gants dans cinq ans. Et pour conquérir la planète bleue, elle a développé une stratégie de commercialisation en ligne – tout en conservant en Suisse le détaillant qui lui a fait confiance depuis le début.
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Qui dit vente sur internet, dit stratégie numérique. C’est Davide Calligaris, membre de la cellule numérique de la société, qui prend le relais pour expliquer comment la PME entend se démarquer face à la concurrence emmenée par la marque américaine MakeUp Eraser: «Cette concurrence qui cible surtout les jeunes ne nous dérange pas. Bien au contraire. Elle participe à l’essor d’un marché sur lequel nous entendons nous différencier par la qualité et la sobriété de notre produit. Pour ce faire, nous allons travailler avec des blogueuses et des influenceuses que l’on associe à la beauté.» Des campagnes publicitaires sont lancées en ce début d’année dans plusieurs pays.
Vers plus de durabilité
La formule du gant démaquillant réutilisable laissera sans doute les rigoristes sur leur faim. Coton, polyester ou nylon, la facture écologique ne sera de toute manière pas nulle. Cette nouvelle tendance a toutefois le mérite de bannir les produits chimiques et de réduire drastiquement le volume de matière utilisé. «Je garantis mon gant démaquillant en tout cas deux ans. Ensuite, il peut encore servir à toute une série d’autres tâches», insiste Babette Keller.
Pour minimiser l’empreinte écologique de son activité, elle veille également au recyclage des serviettes et autres gants qu’elle fournit aux manufactures horlogères. D’entente avec ces dernières, elle s’apprête par ailleurs à remplacer tous les emballages en plastique de ces produits par de la pergamine recyclée. Une gageure car il faut jongler avec les différentes tailles, jusqu’à présent inscrites directement sur les sachets.
90% de femmes
Sa conception de la durabilité, Babette Keller la traduit aussi dans la gouvernance de ses deux entreprises qui comptent en tout une trentaine de personnes, dont 90% de femmes. Elle n’a pas oublié ce banquier peu visionnaire qui lui avait refusé un premier crédit, lui conseillant de retourner chez elle pour s’occuper de ses enfants. «Si je peux inspirer les femmes, tant mieux!»
De l’inspiration, elle n’en manque pas puisque cette femme pressée entrevoit déjà une nouvelle application pour ses microfibres. Après l’horlogerie et l’hygiène, dans quelques années, on pourrait la retrouver dans le médical. «Mon idée concerne les pays défavorisés.» Impossible d’en savoir plus. «Il faut d’abord que je contacte l’EPFL, j’aimerais travailler avec elle», tranche, décidée, celle qui a décidément revisité la formule «une main de fer dans un gant de velours».

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«Ma PME dans 5 ans, les nouvelles dimensions de l’innovation», le mardi 3 mars 2020 à l'EPFL.
Programme et inscriptions: forward-sme.epfl.ch